Co-publiée en quatre langues par le Département de Théorie des Langages et des Sciences de la Communication (Universitat de València. Estudi General, UVEG) & The Global Studies Institute de l’Université de Genève. ISSN: 2174-8454 / e-ISSN: 2340-115X. E-mail: info@eu-topias.org / eu-topias@uv.es / eu-topias@unige.ch
Quand on parle de l’identité nous donnons la priorité au passé, soit-il personnel ou collectif, et quand il s’agit de l’Europe nous avons tendance à la voir comme la grande organisation politique qui est à la base du droit de l’Empire romain. Depuis Hegel on sait que « l’histoire universelle progresse avec Rome à l’Ouest, mais reste au sud des Alpes. Ce sera plus tard, avec la Réforme protestante au moment de la Renaissance, quand elle marchera vers le nord ».
C’est à ce type d’identité que pense Ortega y Gasset quand il dit que l’Europe, plutôt que l’avenir, est quelque chose qui est là depuis un lointain passé ; « par ailleurs, elle existe bien avant les nations si clairement établies de nos jours. Mais il va falloir qu’on donne une nouvelle forme à cette vétuste réalité ». L’identité européenne est, avant tout, un état qui impose légalement une pluralité de cultures (de la péninsule ibérique au Proche-Orient, assimilé par Alexandre le Grand), qui n’ont pas en commun ni la langue maternelle ni les croyances religieuses, mais partagent la capacité de dire « Cives Romanus sum ».
Cette Europe, exemplaire et problématique, n’est que l’arrière-plan qu’on ne mentionne jamais lorsqu’on parle de l’Union européenne, car dans ce cas précis notre problème n’est pas d’identité mais de projet : il dépend plus de ce que nous attend dans l’avenir vers lequel on avance que de ce qui provient d’un passé plus ou moins lointain, même si ces deux dimensions ne sont pas indépendantes. Husserl avait déjà vu dans la crise de la science européenne la racine de la faiblesse de notre civilisation après la première Grande Guerre du xxe siècle. Le projet de l’Europe
est alors celui d’une humanité rationnelle, c’est-à-dire organisée avec justice sur des hypothèses et des procédures de la plus haute rationalité. Bref, le projet que Platon avait commencé et qui est encore loin d’être achevé.
Suite à l’incapacité des Etats membres de réviser les traités (approfondissement) et préparation du vaste élargissement aux pays ex-communistes (élargissement) qui allait se produire en 2004, le Conseil européen qui s’est tenu à Laeken en décembre 2001, a décidé la convocation d’une Convention sur l’avenir de l’Europe, composée de 106 membres et chargée de préparer un projet de Constitution pour l’Europe. Cette Convention s’est réunie de 2002 à Juillet 2004 et a produit un projet de « Traité établissant une Constitution pour l’Europe », lequel a été adopté presque sans modifications par les Etats membres à Rome, le 29 octobre 2004. Cette Constitution n’est cependant jamais rentrée en vigueur, deux des Etats fondateurs, la France et les Pays-Bas, en ayant rejeté l’approbation au printemps 2005. Bien que la plupart des innovations proposées par ces « constituants » aient été reprises par le Traité de Lisbonne (adopté en décembre 2007), ce ne fut pas le cas de la devise de l’Union européenne, dont la charge symbolique a été jugée trop lourde pour un simple traité modificatif comme celui de Lisbonne.
Néanmoins, l’institutionnalisation politique a progressé considérablement avec la création d’institutions collégiales de gouvernement ainsi que un parlement élu démocratiquement et une banque centrale. Bien que le système économique et politique manque encore d’élan et de la cohérence, la faiblesse la plus sensible de l’Union européenne n’est pas seulement son déficit démocratique, mais aussi son déficit culturel. Sans un approfondissement des politiques culturelles, qui ne peut être simplement une juxtaposition de cultures nationales, même si elles ne peuvent pas être absentes, il n’y aura pas l’accumulation de concepts et d’affections qui exige la création d’une entité politique et sociale nouvelle à caractère post-national. Et si nous ne sommes pas capables de donner forme à cette nouvelle entité, il ne sera pas possible que l’Europe joue le rôle primordial qui devrait être le sien de par son histoire dans le processus de mondialisation actuel.