Co-publiée en quatre langues par le Département de Théorie des Langages et des Sciences de la Communication (Universitat de València. Estudi General, UVEG) & The Global Studies Institute de l’Université de Genève. ISSN: 2174-8454 / e-ISSN: 2340-115X. E-mail: info@eu-topias.org / eu-topias@uv.es / eu-topias@unige.ch
Les pages de ce numéro d’Eu-topías analysent des mouvements sociaux récents d’une grande variété, lesquels se caractérisent néanmoins par une curieuse convergence : ils commencent en Décembre 2010 en Tunisie et se propagent dans la plupart des pays islamiques. Comme complément discursif ce numéro monographique s’enrichit d’un article sur la photographie dans la guerre civile espagnole (1936-39), dont l’issue freina pendant une longue période toute mobilisation sociale et la possibilité de modernisation et participation démocratique en Espagne.
Le dossier contient une réflexion plurielle sur les premiers mois du changement dans des sociétés prises en étau de façon caractéristique entre deux tendances opposées. D’une part, les dictatures qui garantissent un (dés)ordre dans des sociétés divisées, inégalitaires et oppressives, et d’autre part une volonté de régénération face à la corruption représentée par des organisations politico-religieuses à caractère fondamentaliste. Jusqu’à tout récemment, la seule « troisième force » avait été l’émergence éventuelle de phénomènes terroristes. Cette mosaïque était soutenue en partie par l’inertie et en partie par les intérêts de pays tiers (les Etats-Unis, la Russie, la Chine) lesquels établissaient les positions « acceptables » afin d’éviter toute prépondérance islamique sur la scène internationale. Les événements (certains de nos articles les appellent « Printemps » et d’autres « Révolution », dans l’attente que leur évolution temporelle leur donne un profil plus clair) ont comme caractéristique commune l’intérêt envers l’inhabituelle présence publique d’une société civile qui commence à se comporter comme un sujet collectif de changement.
L’avenir d’un tel changement, sa consolidation ou son caractère provisoire et précaire dépendent, comme le signale l’auteur de « Le printemps » en Afrique du Nord, de la reconnaissance du fait que ces pays ont été libérés, mais également du début d’une deuxième bataille qui laisse de côté la nécessité du développement économique, « d’une bataille pour la libération du citoyen ». Cela implique l’exigence de que les libertés d’expression et de presse permettent que prenne racine « la liberté de conscience qui n’est malheureusement pas reconnue dans les sociétés musulmanes ». Cette observation est surprenante pour tout Européen dont la liberté de conscience, en tant que base pour l’usage privé de la raison, a précédé dans l’histoire d’autres libertés d’usage public. De ce point de vue, elle met en évidence un problème fondamental dans les sociétés musulmanes : la faisabilité d’une sphère laïque de la politique. Il est vrai que le diktat évangélique de « rendre à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu » (avec le type de résultat que les Lumières ont destiné aux guerres de religion) a permis que la présence du fait religieux dans nos sociétés ne nuise pas sérieusement au fonctionnement institutionnel des démocraties. L’existence de partis « démocrates-chrétiens » qui ne suppriment pas politiquement les lois qu’ils rejettent du point de vue religieux (telles que celles qui régissent le divorce, l’avortement et autres) peut offrir la possibilité théorique que le monde musulman en fera de même. Cependant, la création d’une sphère autonome du fait public et un recul de la religion dans le domaine des sentiments et des pratiques privées s’avèrera nécessaire.
Ces « printemps » comportent encore beaucoup d’inconnues pour leurs propres participants et il ne sera pas surprenant que cette question revienne encore comme objet d’attention et d’analyse. L’évolution de l’Egypte, qui n’est pas considérée dans ce numéro, la guerre en Syrie, les événements en Jordanie et même l’évolution de la compréhension de soi politique des Palestiniens, comme en témoignent le rôle principal du Hamas (jusqu’à présent considéré comme terroriste) et sa stratégie visant à obtenir la reconnaissance en tant qu’état membre observateur de l’ONU, nous suggèrent que la « révolution » islamique est un événement qui permet de tester des nouvelles formes de politique. EU-topías ne veux pas rester en dehors du débat sur les différentes dimensions de ces expériences.