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Les racines grecques de l’Europe. Propos sur la citoyenneté et l’altérité.

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Résumé

L’objectif de cette contribution consiste à étudier deux dimensions de l’héritage grec pour l’Europe : la citoyenneté démocratique et la gestion de l’altérité. Certains passages de la Guerre du Péloponnèse de Thucydide seront sollicités  pour la première dimension et une pièce d’Eschyle pour la seconde. En évitant à la fois la surestimation et la sous-évaluation de l’expérience athénienne, son apport sur la citoyenneté active et la démocratie délibérative sera nuancé par l’importance des pratiques oligarchiques. De manière semblable, la primauté de l’autochtonie face à la barbarie de l’Autre sera démentie partiellement par les attentions sensibles envers l’étranger persécuté. Le passé grec est multidimensionnel et contradictoire. Il doit être analysé de manière mesurée mais surtout il devient urgent pour l’Europe de se transcender elle-même, dépassant du même coup cette image lisse d’une Grèce idéalisée.

Mots-clé  

Grèce antique, Thucydide, Eschyle, citoyenneté, altérité

Le discours est connu, rodé et de l’ordre du politico-intellectuellement correct : la Grèce (antique) est bel et bien un pilier fondateur de l’idée européenne telle qu’elle se matérialise dans l’édifice de l’Union européenne (UE). Lors du débat sur les valeurs européennes et sur la « Constitution » de l’Union au milieu des années 2000, les racines chrétiennes, la place de l’Islam ou d’autres communautés religieuses, l’importance de la laïcité ou l’apport des Lumières, ont suscité le débat et ont provoqué des polémiques. Mais personne n’a remis en question, à aucun moment, l’héritage grec. Une citation de Thucydide sur la démocratie athénienne, en grec ancien dans le texte, allait même se trouver dans une première version du « Projet de Traité établissant une Constitution pour l’Europe », établie par la Convention européenne sous la direction de V. Giscard d’Estaing[1]. Cette Grèce classique jouerait le rôle d’ancêtre, de parrain et de légitimateur pour l’Europe en voie d’intégration.

Donc, la Grèce a fait, et continue de faire, l’unanimité autour d’elle à propos de son influence européenne. Certes, il y a un bémol. Car, à part Périclès et Aristote, à part le Parthénon et Epidaure, il y a aussi la Grèce moderne, avec ses Néo-Hellènes, leurs problèmes récurrents, leurs mauvaises habitudes, leurs imperfections structurelles. Tout cela noircit le tableau « original-originel ». Une incompréhension mutuelle a été déjà interceptée en période de vaches grasses, bien avant la crise perturbatrice actuelle. Dans son bel essai au titre polémique, le journaliste-helléniste belge M. Grodent avait capté ce quiproquo permanent, en imaginant un dialogue « corsé » entre un Néo-Grec et un Occidental :

« Il y a là un extraordinaire «effet de miroirs» qui a pesé, qui pèse encore peut-être, sur les relations que nous entretenons avec les Grecs. «Je cherche chez tes ancêtres une définition valorisante de moi-même», pourrait dire l’Occidental en s’adressant aux Grecs, «mais tu es si laid que je me demande si ce sont bien tes ancêtres». A quoi les Grecs pourraient répondre : «C’est chez toi que j’ai cru réapprendre la vraie voie qui mène à mes ancêtres, mais il se peut que je me sois trompé. On n’a pas du tout la même philosophie. A la limite, ton Antiquité n’est pas la mienne. Tiens, je te la laisse. Elle m’écrase…» » (Grodent, 2000 : 84).

Malgré l’intérêt « psychanalytique » de cette triangulation complexe (Grèce antique, Grèce Moderne, Europe)[2], le présent article va plutôt se concentrer sur les racines grecques anciennes de l’Europe. Ainsi, l’objectif sera de disserter sur deux dimensions particulières de l’héritage grec pour l’Europe d’aujourd’hui : la citoyenneté démocratique et la gestion de l’altérité. Dans ce cadre, deux textes de base seront sollicités : certains passages de la Guerre du Péloponnèse de Thucydide pour la première dimension et lesSuppliantes d’Eschyle pour la seconde[3]. La thèse défendue ne sera pas obligatoirement celle du politiquement correct helléniste d’une Romilly (2001), ni celle plus polémique de Detienne (2009). Même si leurs positions sont très utiles et par ailleurs largement utilisées dans cette contribution, il convient d’éviter à la fois la surestimation et la sous-évaluation de l’antiquité grecque afin de mieux comprendre son impact humaniste sur le parcours européen, mais aussi les travers dominateurs et exclusivistes des pays européens. Pour ce faire, l’univers « chaud » des spécialistes classiques sera quelque peu délaissé au profit du regard plus « froid » de la sociologie politique et du comparatisme, en privilégiant l’analyse des textes.


La question de la citoyenneté dans le cadre démocratique

L’Oraison funèbre de Périclès, rapportée par Thucydide[4], sera le point de départ de l’argumentation sur la démocratie et la citoyenneté. Le grand chef d’Athènes classique fait l’éloge du régime démocratique de sa cité en se référant, tout d’abord, à la règle majoritaire :

« les intérêts de la masse des citoyens et pas seulement d’une minorité » (Thucydide, 1964 : II-37).

Afin d’éviter, du moins partiellement, les dangers de la tyrannie de la majorité, relevée plus tard par Tocqueville, le système politique propose l’isonomie (égalité devant la loi), l’iségorie (égalité de la parole aux assemblées) et l’estime publique pour choisir les magistrats.

Toutefois, le point central du régime décrit par Périclès-Thucydide reste la citoyenneté active, base de la démocratie, à la fois délibérative et participative.

« Nous sommes en effet les seuls à penser qu’un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile. Nous intervenons tous personnellement dans le gouvernement de la cité au moins par notre vote ou même en présentant à propos nos suggestions. Car nous ne sommes pas de ceux qui pensent que les paroles nuisent à l’action. Nous estimons plutôt qu’il est dangereux de passer aux actes, avant que la discussion nous ait éclairé sur ce qu’il y a à faire » (Thucydide, 1964 : II-40).

Cette citation est fondamentale, car elle va imprégner la pensée politique européenne-occidentale jusqu’à nos jours.

En premier lieu, l’importance de la participation des citoyens aux affaires de la Cité est très fortement soulignée. La citoyenneté, c’est la participation à la vie politique avec des droits et des obligations et la démocratie doit être vue comme effort permanent. Par conséquent, la passivité est le contraire de la démocratie et cette dernière n’est conçue que comme citoyenneté de participation. Il est évident que, dans ce cadre de l’espace public antique, on devient personne publique avec les autres et, pour parler comme Balibar (2001) aujourd’hui, la citoyenneté est toujours concitoyenneté. A ce propos, l’influence est directe sur les conceptions de Rousseau qui nous décrit, avec élégance, l’approche républicaine de l’Etat via la citoyenneté :

« Cette personne publique, qui se forme ainsi par l’union de toutes les autres, prenait autrefois le nom de cité, et prend maintenant celui de république oude corps politique, lequel est appelé par ses membres État quand il est passif,souverain quand il est actif, puissance en le comparant à ses semblables. À l’égard des associés, ils prennent collectivement le nom de peuple, et s’appellent en particulier citoyens, comme participant à l’autorité souveraine, et sujets, comme soumis aux lois de l’État. … » (Rousseau, 1973 : 74).

Par ailleurs, le vote et l’élection (une sorte de démocratie représentative) de l’époque péricléenne ne sont que les expressions minimales du régime. Dans la deuxième partie de la citation précédente de Thucydide, il est surtout question de discuter et d’échanger les diverses propositions avant de décider. Si les actes doivent être précédés par la discussion, comment ne pas voir dans cette réflexion la base de l’agir communicationnel habermasien, et partant, de toute la théorie contemporaine de la démocratie délibérative[5] ? Les formes que peut prendre cette dernière, comme par exemple l’existence des jurys citoyens, restent des expériences précieuses jusqu’à nos jours. De même, le tirage au sort, utilisé pour un grand nombre de fonctions étatiques, construit une démocratie de proximité selon le principe « tous gouvernants, tous gouvernés », avec des citoyens interchangeables.

La « sainte persuasion », qui traverse l’ensemble des œuvres tragiques grecques, constitue la base de la démocratie délibérative. L’argumentation, la rhétorique et le dialogue sont des éléments phares de la démocratie grecque.

« Apprendre à parler,…, c’est aussi apprendre à penser » (Romilly, 2001 : 129).

En effet, la délibération demande du temps et une démocratie-citoyenneté active. Dans la cité grecque, l’espace public est tout autant du temps public. Cela étant dit, comment faire une délibération juste et inclusive dans un monde inégalitaire économiquement et culturellement (par exemple, forces oratoires différentes à disposition) ?

Ce dernier point nous amène à la relativisation de la démocratie athénienne et sa pratique citoyenne. Revenant à la célèbre Oraison funèbre, outre la vision démagogique-populiste du discours, c’est le mélange subtil entre patriotisme et nationalisme qui frappe les esprits.

« … Notre cité dans son ensemble est pour la Grèce une éducatrice … Parmi toutes les cités, Athènes est aujourd’hui la seule qui sache à l’heure de l’épreuve se montrer supérieure à sa réputation » (Thucydide, 1964 : II-41).

Puis, plus loin, le stratège athénien poursuit son raisonnement :

« Contemplez journellement la réalité qui vous entoure, c’est-à-dire cette cité dans toute sa puissance ; enflammez-vous d’amour pour elle, et, quand vous serez bien pénétrés du sentiment de sa grandeur, rappelez-vous que nous devons tout cela à des hommes audacieux, qui connaissaient leur devoir et savaient, dans l’action, se montrer jaloux de leur honneur » (Thucydide, 1964 : II-43).

Evidemment, ces mots sont prononcés pour stimuler les citoyens en période de conflit. N’empêche que ces paroles témoignent d’une vision guerrière et arrogante du monde, un idéal citoyen soumis à la fonction militaire (et pas le contraire).

Se pose également, à ce niveau, la question de la domination extérieure. La démocratie athénienne va de pair avec l’impérialisme exercé par la cité, pas seulement envers les Etats ennemis mais encore envers les alliés. L’œuvre de Thucydide déborde d’exemples sur la cruauté des chefs démocrates et la brutalité des orateurs avant la décision. L’assujettissement de Mytilène (Thucydide, 1964 : III-27ss) et surtout le célèbre épisode de la soumission de Mélos (Thucydide, 1964 : V-82ss) sont indicatifs du discours cynique tenus par les citoyens athéniens. Le message est clair : échangez, délibérez mais, in fine, c’est le rapport de force qui compte ! Comme les responsables politiques de nos jours (en Europe ou ailleurs), les hommes politiques de l’époque glorieuse d’Athènes

« partageaient manifestement une conviction commune : l’empire était le garant de la stabilité socio-politique athénienne » (Azoulay, 2010 : 69).

Il convient alors de se poser la question pour savoir jusqu’à quel point la cité d’Athènes fonctionnait-elle en tant que démocratie ? Pensant à Périclès, Thucydide fait un aveu, sans détour :

« Théoriquement, le peuple était souverain, mais en fait l’Etat était gouverné par le premier citoyen de la cité » (Thucydide, 1964 : II-65).

Il est bien établi que les exclus de la démocratie athénienne étaient les plus nombreux : aux femmes, aux esclaves ou aux étrangers, il faudrait ajouter tous les catégories des indigènes pauvres, vivant entre soucis matériels triviaux et indifférence politique. Ces personnes n’avaient pas le temps de s’occuper des affaires publiques et sans temps public, guère de citoyenneté. La plupart des études convergent sur le fait que l’Assemblée ne réunissait pas plus de 2000 personnes, sauf cas exceptionnels (Romilly, 2001 : 105-106). La citoyenneté active aurait concerné à peine 1% à 2% de la population de la cité péricléenne[6]. Quantitativement et qualitativement, la démocratie de l’époque devenait finalement un simple choix entre élites ou passation du pouvoir d’une élite à une autre[7] :

« L’aristocratie athénienne s’est en réalité adaptée … à un système politique ouvert – la démocratie d’assemblée » (Canfora, 1993 : 146).

La citoyenneté est alors passive, phénomène accentué par la tendance de se fier plus aux rumeurs qu’aux arguments, plus aux spectacles qu’aux débats délibératifs. Athènes, bien avant nos sociétés de consommation, pratiquait le fameux « pain et spectacles » des Romains.

En se fondant toujours sur les réflexions de Thucydide, il convient de souligner un autre élément pour relativiser l’expérience démocratique et citoyenne d’Athènes : les guerres civiles. Le grand historien décrit de manière précise (Thucydide, 1964 : III-82ss) les horribles combats fratricides au sein même des cités grecques : la sauvagerie, les méthodes de terreur, la primauté des extrêmes, la vengeance, …

« A l’origine de tous ces maux, il y avait l’appétit de pouvoir qu’inspirent la cupidité et l’ambition personnelle. De là l’acharnement que les fractions mettaient à se combattre ».

C’est dans ce cadre qu’émergent les hétairies, clans entre sociétaires ou groupements entre citoyens, avant de devenir des entraides entre conspirateurs :

« Le but de ces associations n’était pas de défendre les intérêts de leurs membres par des moyens légaux, mais de satisfaire, au mépris de la loi, des ambitions particulières. La confiance régnante entre les associés était fondée non sur les engagements pris devant les dieux, mais sur la complicité dans le crime ».

En somme, les hétairies constituent une sorte de capital social négatif et une société civile quasi mafieuse.

Quelle proposition est-il possible de formuler, sur la base des argumentations qui précèdent, à propos de la démocratie citoyenne ou de citoyenneté démocratique de la Grèce classique ? Ensuite, quel en est l’impact sur la modernité européenne et occidentale ? D’une manière générale, deux positions s’affrontent : les partisans d’un apport tout relatif de l’idéaltype athénien et ceux favorables à une empreinte fondamentale de l’héritage grec.

Les relativistes ou comparatistes défendent la position que la démocratie peut exister et avoir des racines partout (pas seulement via l’héritage grec monopolisé par l’Europe et l’Occident). Le discours du prix Nobel et économiste Sen (2009) est typique de cette argumentation. En partant de l’idée que la citoyenneté démocratique est la participation active dans le cadre d’un espace public délibérant, Sen considère que le cas grec n’a pas un monopole exclusif. D’autres régions ou cités dans l’espace-temps ont eu l’occasion d’expérimenter la démocratie, y compris sous les formes les plus « exotiques » comme les palabres en Afrique. Par ailleurs, nombre de dimensions démocratiques actuelles, comme la non-violence, la désobéissance civile ou certaines formes de la tolérance, viennent d’horizons très divers et ne doivent rien à l’antiquité grecque.

Plus intéressante encore à sujet est la thèse de Detienne. A la fois helléniste, historien et anthropologue, il jette un regard très critique sur l’apport grec à travers la méthode comparatiste. En exigeant de construire la comparaison de manière libre, y compris en comparant les incomparables, il se méfie des classements des cultures selon les valeurs occidentales. Dans ce cadre, il met en garde contre un danger grave :

« La Grèce, décrétée éternelle, est mise sous cloche … confiée à de gardiens sûrs … les hellénistes académiciens. Momification garantie » (Detienne, 2009 : 24-25).

Contre des Grecs anciens stéréotypés, ayant tout fait et bien, l’essayiste français propose d’aller de culture en culture pour faire son miel ; le comparatiste doit

« … pouvoir se déplacer sans passeport entre les Constituants de la Révolution française, les habitants des hauts plateaux de l’Ethiopie du Sud, la Commission européenne de Bruxelles, les premières cités minuscules de la Grèce, en s’arrêtant, s’il le juge bon, en terre de Sienne ou à Vérone pour voir, par exemple, comment fonctionnent les assemblées entre le XIIe et le XIIIe siècle » (Detienne, 2009 : 44).

C’est seulement de cette manière qu’il est possible de comprendre que

« les Ochollo des monts Gamo, habitants l’Ethiopie du Sud depuis le XIXe siècle, ne semblent pas avoir c-onsulté les archives communales de Sienne ou d’Arezzo ; et les Cosaques de Zaporojie au XVe siècle n’ont pas nécessairement trouvé dans l’Iliade, et encore moins sur le site de Mégara Hyblaea, le principe de l’agora et du cercle de l’assemblée communautaire …Il n’y a pas davantage de miracle ochollo qu’il n’y a de miracle grec ou cosaque » (Detienne, 2009 : 87).

Ainsi, selon l’argument de Molde (2011 : 37) et à la suite de la démonstration de Detienne, il convient d’utiliser les Grecs comme des « opérateurs » mais

« sans leur reconnaître ni préséance ni caractère exemplaire ».

En opposition aux thèses relativistes que nous venons de voir, Romilly défend la position d’un acquis grec précieux. La démocratie et la citoyenneté sont considérées comme des nouveautés, pensées consciemment à ce moment précis de l’histoire humaine :

« même si Athènes n’a pas inventé la démocratie, elle a été la première à prendre conscience de ses principes, à la nommer, à en analyser le fonctionnement et les formes : elle a ainsi inventé l’idée même de la démocratie – sans l’ombre d’un doute possible. Le legs ainsi fait à l’Europe n’est certes pas négligeable. Là aussi, Athènes rejoignait cet élan qui, dès le début, avait poussé les Grecs à définir, à nommer, à analyser, pour tous et pour toujours » (Romilly, 2001 : 104-105).

Cet éloge, sans faille, de l’héritage grec se retrouve, à peine plus nuancé, dans un autre endroit de l’ouvrage de la célèbre helléniste :

« On ne peut plus penser la démocratie, qui occupe une place si essentielle dans la pensée politique européenne, sans le faire, que l’on sache ou non, dans le sillage d’Athènes » (Romilly, 2001 : 118).

Conscient ou souterrain, le message de la Grèce classique, notamment athénienne, reste fondamental, voire fondateur, pour l’Europe.

Face à ce débat, complexe et durable, quelle est la vision qu’il convient de choisir ? En gardant en tête le précepte antique de la mesure (πάν μέτρον άριστον), il faudra rester prudent. Sans canoniser, ni relativiser le patrimoine grec, il est autorisé de nuancer les diverses positions et de les faire dialoguer. Surtout qu’il n’y a ni une seule Grèce ni une Athènes unique, encore moins une seule pratique de la citoyenneté démocratique. Si jamais notre modernité et l’Europe ont reçu une grâce quelconque de la part de la Grèce, il ne s’agirait certainement pas d’une totalité figée. En suivant la réflexion de Judet de la Combe (2011), la Grèce et Athènes sont pleines des différences et des différenciations. En outre, la lecture faite de l’héritage grec ne peut qu’être circonstanciée, tributaire du contexte. On voit Athènes, ou son Périclès, différemment selon les lieux et les époques (Azoulay, 2010 : ch. 10 et 11). Plus globalement, la relation antiquité-Europe ne fait que changer avec l’espace-temps. Surtout, depuis une certaine rupture paradigmatique entre les auteurs classiques grecs et la modernité européenne : la démocratie des Anciens garde une vision profondément holiste du bien public tandis celle des Modernes donne un primat aux affaires et aux jouissances privées (Bobbio, 1996). Dans le cadre du libéralisme, la citoyenneté se base sur la primauté des intérêts d’un homme calculateur dépassant les passions politiques guerrières (Magnette, 2001 : ch. 11).

Autochtonie versus altérité

La gestion de l’altérité et sa relation complexe avec l’identité constituent des sujets hautement universels. Ils furent particulièrement présents dans les débats et les écrits légués par les Grecs de l’époque classique. Toutefois, l’hypothèse qu’il s’agit de défendre dans cette section est que l’apport grec sur la question de l’altérité est bien plus discret que celui sur la citoyenneté démocratique. En effet, il est possible de critiquer les dimensions démocratiques-citoyennes de l’antiquité grecque mais pas contester leurs existences et l’inventivité des cités helléniques. Au contraire, sur la thématique du couple identité-altérité le bilan semble plus mitigé. Malgré cela, l’étude de ce sujet mérite d’être traitée car il est d’une actualité brûlante, dans l’Europe en générale et la Grèce (du parti extrémiste de l’Aube Dorée) en particulier.

Tout d’abord, une dimension importante à analyser concerne l’intolérance grecque selon la fameuse distinction entre Grecs et Barbares. Cette hostilité de l’Autre dépasse la simple exclusion linguistique. Comme le soulève Todorov (2008 : 34), il s’agit de nier l’humanité même des autres, leur inaccessibilité à la civilisation. D’une certaine manière, les Grecs (comme souvent les Européens/Occidentaux de ces derniers siècles) s’auto-désignent en tant que les dépositaires uniques de la civilisation et de l’universel[8].

Encore plus frappant dans l’antiquité classique reste le fait que l’exclusivisme identitaire concerne le rapport même avec les autres Grecs. C’est la primauté absolue de la cité qui, dans le cas athénien, prend la forme extrême du mythe de l’autochtonie. Les Athéniens se pensaient tous sortis de la terre sainte de l’Attique et ils se donnaient pour objectif de rester purs (Detienne, 2009 : 55ss). C’est par ailleurs à l’époque glorieuse de Périclès que l’on vote une loi excluant de la citoyenneté tous ceux qui ne sont pas à la fois de père et de mère athéniens. Dans ce contexte, des interrogations dérangeantes s’imposent. Comment ne pas voir, à propos de cet autochtonisme, la base du nationalisme jusqu’à nos jours (les mots nation et natif n’ont-ils pas une même origine)[9] ? Comment ne pas apercevoir, dans ce purisme, la genèse du racisme moderne ? Comment ne pas sentir la crispation de la préférence nationale qui tourmente l’Europe actuelle ?

Le modèle d’Athènes et des cités grecques, concernant l’altérité, est de type exclusionniste ou exclusiviste. Il est bien loin des modèles multiculturalistes et même assimilationnistes sur lesquels repose le débat de la gestion de l’Autre dans l’Europe contemporain (Aligisakis, 2012 : 25ss). Le message venu de la Grèce classique sur ce thème semble donc plutôt négatif, incitant fortement à la fermeture ou ouvrant le chemin vers le danger potentiel de la primauté identitaire (Maalouf, 1998). Prônant cette identité bloquée, Athènes est bien plus frileuse que l’empire de Rome qui a permis, du moins après un certain temps, une citoyenneté inclusive. De toute évidence, si les Etats-Cités grecs ont permis l’éclosion de la citoyenneté démocratique en leur sein, en revanche l’ouverture à l’altérité n’a pas pu s’épanouir. L’étranger a été accueilli mais il restait toujours un étranger. L’échange commercial, interculturel et intellectuel a été recherché activement mais on évitait soigneusement de se mélanger ou de se métisser. Le concept du cosmopolitisme, malgré les racines grecques du mot, n’avait pas d’assisse pratique.

En dépit de tous ces éléments plutôt décevants, la réflexion sur l’altérité fut très riche durant la période de la Grèce classique. Comme dans l’Europe actuelle, qui prône l’ouverture et la tolérance tout en les trahissant si souvent dans les faits, Athènes pratiquait l’exclusion et prêchait l’aide du réfugié, préparait les hostilités et proposait l’hospitalité, faisait l’éloge de l’autochtonie et protégeait l’asile, adorait Arès mais ménageait aussi Xenios Dias (le dieu des étrangers).

Plusieurs textes reflètent la richesse de la pensée grecque sur l’altérité. Mais il y a un qui semble sortir du lot par la limpidité du raisonnement et par la finesse du traitement des relations interculturelles dans un cadre démocratique. Bien que moins connue que d’autres pièces classiques, « les Suppliantes (Ικέτιδες) » d’Eschyle[10] est une tragédie émouvante, mais il s’agit également d’une œuvre très actuelle sur l’asile et sur la gestion de la différence. Elle se donne pour objectif d’étudier la formule suivante : «dis-moi comment tu traites tes étrangers et je te dirais qui tu es» ! Les réflexions issues de cette pièce méritent d’être analysées attentivement.

Comme toute entreprise théâtrale, les Suppliantes sont la mise en scène d’un conflit. Cette fois, il s’agit d’un conflit d’ordre interculturel et inter-normatif, quand coutumes et lois, d’ici ou d’ailleurs, se confrontent[11]. Plusieurs dimensions sont à relever en partant de cette expérience très riche.

Tout d’abord, il est important de mettre en exergue les symbolismes présents sur la scène : le rameau comme signe de la demande de l’asile, l’appel à Zeus aux nombreux noms protecteurs, le refuge aux lieux traditionnels comme les temples :

« mieux qu’un rempart, l’autel est un bon bouclier » (Tragiques Grecs, 1967 : 134).

En outre, il est frappant que l’histoire se déroule au bord de la mer pour ces réfugiées qui viennent extenuées des mondes lointains. Par certains aspects, on dirait qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil méditerranéen depuis deux millénaires et demi !

Plus important encore, dans l’intersection entre le symbolique et le matériel, ce sont les éléments standards attestant le contact interculturel : les vêtements, les aspects extérieurs, la vision caricaturale et stéréotypée de l’Autre. Voici comment le Roi de l’Argos décrit son premier contact avec les Danaïdes :

« D’où nous sort cette troupe étrangement accoutrée qui arbore des bandeaux et des robes barbares … Cette vêture féminine n’est ni d’Argolide ni d’aucun lieu de l’Hellade » (Tragiques Grecs, 1967 : 137).

Il se pose clairement la question du « quoi faire » avec étrangeté de l’étranger, ou encore celle de savoir si l’Autre est de la même humanité que nous ? Pointe inconsciemment ici l’idée que quelques civilisations (les nôtres) sont supérieures à celles des autres (les leurs). Toutefois, Eschyle met en avant deux éléments fondamentaux qui semblent novateurs et porteurs d’humanisme, y compris de nos jours : examiner attentivement la requête du demandeur de l’asile ; effectuer un contrôle démocratique de la décision.

Le premier devoir d’une cité libre et juste consiste à prendre en considération la demande et le parcours de l’étranger, peut-être un envoyé des dieux ou tout simplement une personne en danger à qui l’on doit assistance. L’asile est sacré (éviter « le courroux de Zeus Suppliant ») et sa défense peut même aller jusqu’à « déchaîner la guerre » (Tragiques Grecs, 1967 : 142-143). C’est dans ce contexte moral que la cité d’Argos étudie la requête des Danaïdes. De toute évidence, ces femmes veulent sortir de la tradition endogamique de leur société. Fuir « l’horreur de l’inceste » (Tragiques Grecs, 1967 : 129) et sans protection possible dans le pays d’origine, il ne reste d’autre solution pour elles que la fugue[12] et la demande du statut de réfugié ailleurs[13]. Les Danaïdes savent que leur demande d’asile, malgré l’appel au droit et à la justice, n’est pas sûre d’être obtenue. Comme de nos jours, il leur faut une préparation et une attitude adéquate afin de présenter une requête acceptable. Elles racontent leur histoire, leurs ancêtres, leurs racines. Et, sur conseil de leur père Danaos, elles essayent de rester humbles face aux personnes qui vont traiter leur cas en évitant le ton hardi et en respectant les coutumes du pays d’accueil.

Justement, du côté d’Argos, les préoccupations sont tout autres. Il faudra, dans un contexte démocratique[14], se décider en faisant face à ses doutes et à ses peurs. Certes, l’asile est sacré mais il convient non seulement examiner les arguments des requérants, mais aussi de jauger les conséquences pour la cité. Il s’agit de se donner du temps pour écouter et comprendre l’autre, sans pour autant faire du tort au pays. Pour trouver un équilibre entre toutes ces dimensions, il est plus que nécessaire de communiquer. Eschyle accorde une place capitale à la parole échangée, à la fois pour saisir la demande de l’étranger et pour délibérer convenablement entre citoyens :

« Que me suivent la Persuasion et la Chance agissante » (Tragiques Grecs, 1967 : 150)

dira le Roi, en amenant la question des Danaïdes devant le peuple. C’est aussi par la communication que l’on dépasse les problèmes interculturels :

« on peut tuer un ami faute de le connaître » (Tragiques Grecs, 1967 : 148)

dira Danaos aux Argiens.

Finalement, le statut de réfugié est accordé aux requérantes d’asile. Danaos annonce à ses filles que

« tout va bien dans la ville, le peuple y a rendu son décret souverain » (Tragiques Grecs, 1967 : 152).

Il rend grâce à la délibération démocratique :

« Persuadée, la nation … acquiesçait aux raisons de l’orateur » (Tragiques Grecs, 1967 : 153).

L’asile est scellé par l’hospitalité et l’intégration des Danaïdes (Tragiques Grecs, 1967 : 166). Pour protéger l’asile et les principes du droit, la cité d’Argos était allée jusqu’au bout, à savoir la guerre et même la défaite[15].

Toutefois, il est indispensable de s’interroger encore sur les liens entre la gestion de l’altérité et la citoyenneté. La démocratie pleine et directe, qui donnerait aux citoyens le pouvoir et le jugement suprêmes, est-elle toujours la solution adéquate ? Le peuple délibérant, a-t-il le droit de tout décider ? L’exemple de la Suisse actuelle démontre que rien n’est plus complexe que de régler par les urnes des affaires comme les naturalisations des étrangers (position désavouée par le Tribunal Fédéral), ou le fait d’interdire la construction de nouveaux minarets (en contradiction potentielle avec le principe de la liberté religieuse).

La proposition finale, qui semble résulter des débats qui précédent, est que les relations interculturelles, encore plus que la démocratie et la citoyenneté actives, demandent du temps pour trouver les solutions nécessaires afin de faire coexister identité et altérité : temps pour l’échange des arguments, temps pour l’intégration progressive des nouveaux venus, temps pour créer les accommodements raisonnables chers aux multiculturalistes canadiens, temps encore plus long pour réussir le métissage. Dans ce cadre, ce n’est vraiment pas un hasard si le vieux Danaos, p-ersonnage de grande sagesse, demande à ses filles, à la fin de la pièce, de se comporter bien envers leur nouveau pays.

« Mes filles, il faut porter nos vœux aux Argiens, leur sacrifier, leur verser nos libations comme à des Olympiens … Devant de tels bienfaits, que votre âme soit conduite à plus de gratitude encore qu’envers moi » (Tragiques Grecs, 1967 : 167).

Pour être digne de l’hospitalité offerte et pour une intégration réussie, il faut que l’étranger s’adapte aussi.

Les leçons, fort diverses, de cette belle tragédie d’Eschyle doivent être retenues par les responsables européens de notre temps. Éventuellement, ne faudrait-il pas aussi faire jouer la pièce devant les dirigeants de l’Aube Dorée en Grèce, pour leur rappeler la sensibilité de leurs lointains ancêtres envers les persécutés ? Mais il leur serait toujours possible de répondre en nous renvoyant aux thèses athéniennes de l’autochtonie ! Et ils ne seraient pas les seuls à penser de la sorte. Le retour de l’identitaire exclusif est de plus en plus présent en Europe.

Il est peut-être temps d’apprendre à dialectiser les relations. En ce sens, aimer sa terre signifierait savoir la partager avec les autres. Alors, l’autochtonie deviendrait altérité (et vice-versa), un petit peu comme dans la laconique, autant que célèbre, phrase de Rimbaud (2004 : 224) :

« JE est un autre ».

Que conclure ? 

Il ne fait pas de doute que la Grèce antique a eu, et continue d’avoir, une influence intellectuelle majeure sur les pays européens et sur l’Europe en voie d’intégration. Plus que d’autres civilisations qui nous ont précédés, l’héritage grec a marqué les esprits. Mais il faut rester mesuré. Sans surestimer, ni sous-estimer les divers apports grecs, il est surtout nécessaire d’apprécier les éléments positifs mais également de garder une distance critique par rapport à d’autres dimensions plus contestables. L’analyse effectuée dans cette contribution, sur les thèmes de la citoyenneté et de l’altérité, atteste l’ambiguïté de l’acquis grec. La Grèce a inventé la Polis (Cité) et la Politeia (Citoyenneté) mais elle n’a pas vraiment pu dépasser la réalité oligarchique et l’arrogance impérialiste. Les textes classiques ont mis en relief la figure de l’étranger persécuté qu’il convient de protéger, mais sans pour autant remettre en question la prédominance absolue du natif.

Plus globalement, l’hypothèse à émettre sur les rapports entre l’Europe et la Grèce classique est que la seconde est une sorte de construction idéalisée faite par la première. Pour utiliser une expression biblique, l’Europe s’efforce de créer une Grèce à son image, c’est-à-dire comme le dieu de la création a fait l’homme à son image et en ressemblance (« κατ’εικόνα και καθ’ομοίωσιν »). Toutefois, cette Grèce imagée et idéalisée n’a jamais existé dans la réalité ou, pour être plus exact, elle fut un mélange très hétéroclite fait de délibérations démocratiques et de dominations cyniques, d’esprits lumineux et de comportements haineux, d’œuvres artistiques inégalables et de barbaries inhumaines, … Il n’y a pas une Grèce mais plutôt des Grèces, comme aujourd’hui il n’y a pas une Europe mais bien des Europes, faites à l’image des multiples Grèces : tantôt citoyennes, tantôt dominatrices, parfois ouvertes, parfois crispées.

Si l’Europe en construction se veut être en accord avec l’image d’une Grèce idéale, elle doit transcender cette dernière, en cessant son idolâtrie envers un passé préfabriqué. Retrouver le feu sacré des Anciens, et non seulement encenser les cendres froides, cela signifie que l’Europe doit être capable de proposer à ses peuples une citoyenneté démocratique forte, sociale et solidaire, post-nationale et ouverte à l’altérité. Si ce but ne se réaliserait pas, l’image figée d’une Grèce en ruine (au sens propre et au figuré) serait aussi celle de l’Europe de demain.

Références
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  • JUDET de la COMBE, Pierre (2011), « Warum Greece ? », Labyrinthe, N° 36, pp. 81-88.

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  • MAGNETTE, Paul (2001), La citoyenneté, Bruxelles : Bruylant.

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  • THUCYDIDE (1964), Histoire de la guerre entre les Péloponnésiens et les Athéniens, Paris : Bibliothèque de la Pléiade – Gallimard (ouvrage introduit par J. de Romilly et présenté par D. Roussel).

  • TODOROV, Tzvetan (2008), La peur des barbares. Au-delà du choc des civilisations, Paris : Laffont.

  • TRAGIQUES GRECS (1967), Eschyle-Sophocle, Paris : Bibliothèque de la Pléiade – Gallimard (traduction par J. Grosjean ; introductions et notes par R. Dreyfus).

Notas

1 Texte adopté les 13 juin et 10 juillet 2003 par la Convention et remis au Conseil européen à Rome le 18 juillet de la même année (Luxembourg, Office des publications officielles des Communautés européennes, 2003).
2 Déjà la relation qu’entretient la Grèce moderne avec son antiquité n’est pas parmi les plus simples. Sur ce point et sur un ton aigre-doux, cf. Dimou (2012). L’auteur (§ 61-65)pense que les Néo-Grecs ont un complexe d’infériorité à la fois envers les Grecs Anciens et les Européens.
3 Bien évidemment, des nombreuses passerelles peuvent se créer entre les deux auteurs et les deux sujets.
4 Il faut prendre en considération que ce texte, comme tout discours politique, est un embellissement volontaire de la réalité.
5 Cf., entre autres, Girard et Le Goff (2010) ou encore Sintomer et Talpin (2011).
6 Magnette (2001: ch. 1): les citoyens auraient correspondu au dixième de la population et seulement un cinquième de ces citoyens prendraient part aux délibérations.
7 Il s’agit d’un constat également valable de nos jours.
8 Sur ce débat et sa dimension européenne, cf. Dewitte (2008) ainsi que la critique de Hunyadi (2011).
9 Voir l’essai de Detienne (2010: 15) sur l’identité.
10 La pièce a été jouée très probablement vers 463 avant notre ère; elle a donc environ 2500 ans d’histoire derrière elle. Les références ou extraits utilisés ici sont issus du volume Tragiques Grecs (1967).
11 L’histoire raconte la fuite des Danaïdes (les cinquante filles de Danaos) pour éviter le mariage forcé avec leurs cinquante cousins, fils de leur oncle Égyptos. Elles arrivent à Argos pour demander asile et protection. Le roi de ce pays mène l’enquête et il hésite d’accorder l’asile par crainte de déclencher une guerre avec l’Egypte. La demande des Danaïdes sera finalement acceptée par la décision souveraine du peuple d’Argos, après délibération démocratique, et cela malgré la pression du représentant des fils d’Egyptos qui sera renvoyé.
12 «Je suis résolue à m’enfuir, au gré des astres, loin des funestes épousailles» (Tragiques Grecs, 1967: 144) dit le Chœur des Danaïdes, protagoniste de la pièce.
13 Le raisonnement est d’une modernité frappante si l’on compare à la Convention de Genève qui accorde le statut de réfugié à une personne qui n’est pas en situation de rechercher une protection dans son pays, notamment parce qu’elle craint d’y être poursuivie en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou à un courant d’opinion politique.
14 «C’est au peuple entier d’y porter remède» (Tragiques Grecs, 1967: 143).
15 Ce qui ressort des indications sur une possible trilogie d’Eschyle: les Suppliantes seraient suivies de deux autres pièces, les Egyptiens et les Danaïdes.