La télévision, coeur battant du système médiatique
Résumé
La télévision, espace public régulé, a cessé d’être un objet transactionnel de la pensée. Elle s’est tellement incorporée à notre quotidien, qu’elle est devenue invisible et ne contribue plus au débat d’idée. Pourtant, contrairement à ce que l’on prédisait il y a quelques années elle n’a pas pour autant été détrônée par internet, preuve en est : les durées moyennes d’écoute de télévision continuent de progresser partout dans le monde. Cet article vise donc à décrypter ce rouage puissant de nos sociétés modernes, « véritable matrice culturelle ». En analysant l’intérêt intarissable pour ce média, l’auteur démontre son impact social et identitaire, créateur d’un imaginaire collectif, avant de pendre pour étude le cas spécifique de la France et de son paysage audiovisuel.
Mots-clés
Audiovisuel, internet, télévision, exception culturelle, culture de masse, média, imaginaire collectif, identité nationale.
La télévision est tellement incorporée à notre quotidien, qu’elle est devenue invisible : la vie quelle capte dans son kaléidoscope, c’est notre monde sensible, la contingence qui nous berce, notre horizon mental. Mais elle n’est plus au centre des débats sur les médias, elle a déserté nos obsessions. Pendant des décennies, le public a imputé quantité de problèmes sociaux à la télévision : la violence sociale (plus de 80 % des individus, du Japon à la France et aux Etats-Unis, selon des sondages durant les années 90), les difficultés scolaires des élèves, et plus généralement, le sentiment de victimisation comme valeur dominante et son corollaire, la montée du populisme. Evidemment, l’on ne saurait plaider son innocuité sur les comportements et les croyances, mais on reste abasourdi par les méfaits terribles qui lui furent attribués, même dans les années 50-60 où, dans le contexte des monopoles publics, la violence médiatisée étaient rare et de toute façon plus édulcorée qu’aujourd’hui, même à une époque ou la téléréalité n’avait pas encore été inventée. Dorénavant, la flamme critique se déporte vers le web, tour à tour encensé comme vecteur de la démocratie et vilipendé comme déversoir des passions les plus funestes – les rumeurs et les contre-vérités, les confessions intimes et des fantasmes. La télévision, espace public régulé et visant le consensus –et qui, en conséquence, pratique un discours balancé et bien pensant– a cessé d’être un objet transactionnel de la pensée. Elle ne fait plus aspérité dans le débat d’idées.
L’ancêtre d’internet toujours vigoureux
Surtout, on avait bien signé son acte de décès. On la pensait finie, au bord du dépôt de bilan, ringardisée à jamais par les nouveaux médias –les cyber convertis ne cessaient de le proclamer. A son encontre, on parle volontiers de « l’ancêtre d’internet »– avec une note d’ironie.
Or, elle n’a pas été détrônée par internet. Elle mobilise encore toutes les attentions et les affects de l’homme contemporain : les durées moyennes d’écoute de télévision continuent de progresser partout dans le monde –même si cette progression est de niveau modeste, et que les variations sont souvent dues aux aléas climatiques saisonniers et/ou aux événements sportifs (selon les entreprises de mesure d’audience). Entre 2009 et 2010, la consommation moyenne mondiale a cru de 3mn par individu. En France, en 2010, la télévision a encore grignoté quelques minutes en plus quel que soit le niveau social ou la classe d’âge : sa durée d’écoute est de 3 h 32 en moyenne par individu de 4 ans et plus, et de 2h 12 pour les enfants de 4-14 ans (Médiamétrie). Et, cette même année, les français ont en moyenne 16 contacts par jour avec ce média contre 4, 3 avec internet, et 9, 3 avec la radio (Médiamat). Enfin, c’est le média auquel les Français se disent le plus attachés, le « plus proches » et qu’ils considèrent comme le plus rassembleur. 75 % des 15-24 ans perçoivent comme le média du rassemblement familial (sondage SNPTV/Ipsos Média 2009).
Aux Etats-Unis, pour les 8-18 ans la durée moyenne d’écoute de la fée du logis a augmenté de 33 mm en dix ans, atteignant 4 h 29 en 2009, le pic de l’écoute concernant les 11-14 ans (Etude 2009 de la Kaiser Family Foundation). Les durées d’écoute moyenne d’internet sont toujours nettement inférieures à celle de la télévision –entre 1h 30 et 2 heures– et surtout internet s’impose comme un incroyable relais pour la consommation de « TV content ». Pour les enfants et adolescents américains, près de la moitié (41 %) des programmes de télévision est vue sur un ordinateur , alors que pour les adultes de 25 -34 ans, ce chiffre est nettement plus faible :12 % (Nielsen, 2009).
Autrement dit, internet, outre tous les services spécifiques offerts à l’internaute, joue un rôle de relais et d’amplificateur aux médias traditionnels, notamment pour visionner des émissions en podcast (catch up TV) ou les séries américaines, même si encore aujourd’hui la consommation de vidéos en ligne est d’abord faite de programmes gratuits et courts, en particulier issus de Youtube (1, 8 milliards de vidéos en 2009 pour les internautes français) ou Dailymotion ((393 millions) –rapport Hubac sur la vidéo à la demande, 2011. En 2010, 60 % des français de 15-24 ans avaient déjà regardé la télévision via un écran d’ordinateur ou de téléphone mobile (38 % des CSP +), et 71 % des internautes avaient regardé des programmes de télévision en différé sur un site web (étude NPA/TV Replay).
Parallèlement, la télévision demeure le point d’ancrage du rapport au monde. Elle est le premier instrument pour suivre les grands événements et la première source d’information, une donnée qui ne faiblit pas par rapport aux années précédentes (Baromètre 2011 de confiance dans les médias) -60 % des Français se tiennent au courant de l’actualité en premier par la télévision, contre seulement 12 % par la presse et 9 % par internet. Sans surprise ce chiffre en faveur de la télévision est encore plus élevé pour les couches populaires et pour les sans diplômes ou à diplôme en dessous du bac, et chute radicalement pour les « bacs + 4 ou plus » (26 %). Comme le nombre de diplômés du supérieur progresse, cette prédilection pourrait s’atténuer, mais la fée du logis fait tellement la course en tête. Cette propension à privilégier la télévision pour s’informer existe aussi chez les jeunes et les internautes assidus. Remarquons enfin que pour les forts diplômés la télévision est vue comme un outil « de droite » (48 % le pensent), alors que ce type de décodage baisse considérablement pour les sans diplôme ou peu diplômés (22-28 %) – pour 60 % de la population globale elle est vue comme neutre, 33% comme de droite et 7 % comme de gauche.
A quoi sert ce viatique du quotidien ?
Dès les années 50, à l’aube de l’invasion télévisuelle aux Etats-Unis, l’influence de ce média a intrigué et les études se sont multipliées1. D’abord, on observe une fascination : l’arrivée d’un poste de télévision bouleverse immédiatement les habitudes familiales, on dîne devant l’écran, les enfants se couchent plus tard, négligent leurs devoirs scolaires, etc. Surtout, des dizaines d’études à l’appui, on s’aperçoit que cet engouement recouvre une grande variété de motifs. Quel usage fait-on de la télévision ? S’informer, comprendre le monde (si possible sur un mode agréable que favorise la pédagogie de l’image), s’évader de la réalité, se divertir, combler son ennui, être proche de ses amis en partageant un même domaine de connaissance et d’expérience, rompre son isolement en se sentant relier à une communauté, se projeter sur des vies vues à l’écran, s’identifier directement ou par le haut (à des modèles de comportements moraux), combler ses frustrations en se projetant dans une vie imaginaire : la panoplie des sentiments et des attentes à l’égard de ce média est quasi infinie, elle varie constamment d’un individu à l’autre, elle change d’un moment à l’autre, et aucune de ses composantes n’étant exclusive de l’autre.
Tous les feed-backs de la télévision avec les rôles sociaux et les identités psychologiques dans la vie réelle, et toutes les configurations relationnelles qu’elle engendre avec les groupes de proximité ont été étudiés dès les années 50. Comme l’indique un texte célèbre de Elihu Katz et David Foulkes sur « l’utilisation des mass médias comme « moyens d’évasion », publié en 1973 : « il est très difficile de déduire les usages et effets à partir des contenus ». La liste des raisons pour regarder la télévision est sans fin. Mais ces motifs s’articulent les uns aux autres pour construire une autre façon de fonctionner en société. De fait , la télévision opère comme une matrice centrale de la vie collective et s’impose comme un médiateur de la société avec elle-même. Par son processus de construction d’images et par la réception dont elle fait l’objet se tissent des liens sociaux (Tarde, Wolton), se construisent des représentations symboliques (Shudson, Dayan) –notamment la construction d’un imaginaire national, et d’un imaginaire de la mondialisation–, s’élabore une information sur l’environnement (vision fonctionnaliste parsonienne) qui permet d’agir sur celui-ci. De surcroit, par le temps qu’elle occupe dans la vie des individus, elle remplit des fonctions latentes relativement déconnectées des contenus qu’elle délivre : elle agit comme un pacificateur et même un décompresseur des tensions sociales – on écoute avec une attention flottante et l’on se laisse facilement distraire par les contenus légers ou racoleurs. D’ailleurs peu importe. L’enseignement pertinent à retenir des innombrables travaux sur la télévision émane des cultural studies : le téléspectateur est actif, il recompose et retravaille mentalement l’ensemble des données qu’il reçoit, il les réinvestit dans des activités conversationnelles, processus qui lui permettent de se forger une opinion, comme l’avait magistralement montré Gabriel Tarde à propos de la presse au début du XX ème siècle2. La réception, moment clef du processus communicationnel, est en elle-même une production de sens. Gille Achache3 l’écrit joliment : « De la même façon que l’outil prolonge la main et le corps pour en augmenter la puissance et l’habileté, les médias, depuis l’écriture jusqu’à internet, ne sont qu’un prolongement de la parole. Ils sont l’expression moderne de cette fonction si spécifiquement humaine qui est notre capacité à donner où à trouver du sens à toute chose ».
De ces multiples fonctions, la construction d’un imaginaire national est élément primordial. En effet, dans un monde individualiste, c’est à travers les médias, et la télévision en tout premier lieu, que les individus perçoivent symboliquement l’ensemble collectif auquel ils appartiennent, et vivent à son unisson. A travers cette rafale d’images numériques, les sociétés contemporaines se racontent et se rejouent leurs histoires, réfléchissent (sur) leurs expériences singulières, leurs angoisses et leurs espoirs, et se projettent dans un destin commun. Ces formes symboliques, ces récits, en outre, aident et accompagnent beaucoup de pays pour gérer leur transition vers la modernité individualiste –on l’observe en Inde, ou dans les pays arabes. Cette projection identitaire s’opère en premier lieu à travers les télévisions généralistes, qui offrent d’abondantes émissions d’information et des fictions nationales presque toujours irriguées d’une veine ethnographique et/ou historique. C’est ce média, aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, qui façonne, ressource et transmet, pour la majorité des gens, un imaginaire collectif4 –le cinéma agit aussi en ce sens, usant d’ailleurs de moyens esthétiques plus ambitieux, mais seules quelques nations se sont dotées d’une industrie cinématographique prolifique et d’envergure (Etats-Unis, Inde, France, Japon, Corée du sud) qui permettent de satisfaire cette mission emblématique. Cette dimension identitaire est souvent passée sous silence : on oublie que les autorisations d’émettre sont délivrées par les Etats ou des autorités indépendantes qui incarnent les intérêts de la société civile. Ainsi les cahiers des charges des chaînes, qu’elles soient publiques ou privées, comportent une palette d’obligations destinées à protéger les valeurs et lescultures nationales.
La fiction télévisée, miroir enchanté de la société française
En France, les pouvoirs publics ont mis en place des politiques publiques pour favoriser la production de programmes identitaires, en particulier des fictions télévisées. Sur ce point, ce pays n’agit pas différemment d’autres sociétés potentiellement dominées par l’industrie de l’image américaine, comme le Canada, ou les pays européens. Dans le contexte de la globalisation, où les diverses cultures naviguent et franchissent allègrement les frontières géographiques, les Etats-Nations tentent de garder une influence dominante en s’appuyant sur les grands médias, comme le souligne Michael Shudson5. Leur fonction intégratrice repose sur leur faculté à perpétuer et à inventer des rituels collectifs, « les événements médiatiques » qui mobilisent les affects du public ; elle passe aussi par le « ton « des présentateurs et des journalistes et par une galaxie de références et de codes culturels associés à une histoire et à un territoire. Ces grands médias, télévision en tête, participent de la construction d’une communauté imaginée, cette projection qui permet à des individus de se sentir unis par « une intense camaraderie horizontale », comme l’a analysé Benedict Anderson6.
Ces injonctions en faveur de la culture nationale trouvent leur répondant dans les techniques de fabrication des fictions, sans évidemment qu’aucun guide line ne l’indique explicitement. L’observation montre le souci apporté à la crédibilité du contexte social et des personnages, donc à la re-création d’un univers qui semble familier et qui suscite la sympathie, et parfois l’empathie ; elle souligne aussi la volonté d’introduire des touches intertextuelles (références, stéréotypes, symboles, éléments de la vie nationale) qui renforcent le lien de complicité avec le téléspectateur. Mais par-delà cet ancrage social, les récits, les personnages, et les situations créées par les professionnels de l’audiovisuel (ce va-et-vient entre scénaristes, producteurs et diffuseurs) produisent du sens, de l’intelligibilité , un regard narquois et souvent très humain sur les problèmes et les travers des individus. Ce miroir oblique, qui loin d’être un reflet de la réalité sociale, constitue une construction imaginaire et la mise en spectacle d’une société, s’harmonise tellement avec la sensibilité du public hexagonal qu’au bout du compte, ces fictions rencontrent des difficultés pour s’exporter. Ainsi, les fictions télévisées de chaque pays européen comportent une veine identitaire et versent, avec les émissions d’information et de débats, une multitude d’images dans le fleuve des repères culturels qui façonnent une société.
Une connivence s’est subrepticement imposée, dans ce va et vient entre auteurs, producteurs et programmateurs qui conduit à la fabrication d’une fiction télévisée. Plutôt que d’exprimer une vision originale , personnelle, ces fictions- TV se glissent dans un projet quasiment civique , voie fortement suggérée par les textes réglementaires, comme nous l’avons vu . Promouvoir des valeurs sociales –équité, tolérance, sens de la collectivité, positivité, récompense à l’effort, happy ending etc–, s’inscrire dans le cadre de référence culturelle d’une société (touches intertextuelles, mise en scène des questions sociales, de l’identité française, renvoi à l’histoire nationale, au patrimoine littéraire, etc), donner aux téléspectateurs des clefs pour comprendre le creuset dans lequel ils vivent, les programmes sont fédérés par un projet de lien social.
Cette politique hexagonale, installée au début des années 90 et fondée sur des quotas de production et de diffusion d’oeuvres nationales, a été longtemps couronnée de succès7 : jusqu’à récemment, la fiction française récoltait les meilleures audiences, s’imposant comme le programme préféré des téléspectateurs – ici comme ailleurs, cette prédilection est plus marquée pour les personnes âgées. Ces derniers vibraient et adhéraient à l’image de la société promue par ce genre télévisuel. Très grossièrement, comment l’identité française était-elle représentée, quelle était cette photographie mythique? 8
Ces fictions unitaires ou en séries reflètent une société qui se réfère à un passé glorieux, inondant la planète de ses messages universels. Une société de classes moyennes peu touchées par le multiculturalisme, dominée par les « puissants » qui « tiennent » l’arène économique et politique. Un société de petites gens, vaillants dans la solidarité quotidienne, démunis face aux forces sociales dirigeantes. Une société dans laquelle les femmes sont à l’honneur, emblématiques par leur comportement de la modernité des moeurs, femmes actives indépendantes, qui s’assument mais n’abdiquent en rien des joies de la maternité et des émois de la vie amoureuse. Une société modelée par les tourments existentiels liés à l’individualisme, et dans laquelle « la grande affaire » demeure les liens de filiation. Une société qui donc se replie sur l’intimité de la famille et du voisinage. Une société emplie de bonne volonté, culturelle et politique, mais qui n’a plus les moyens de diriger son destin, n’attend pas grand chose des gouvernants, et fait plutôt confiance aux anges gardiens de la fonction publique (instituteurs, policiers, magistrats, médecins). De façon générale, les spectateurs français adhéraient à ce portrait rousseauiste, voulaient s’y reconnaître, même s’il enjolive, simplifie, déforme et surtout fait disparaître des pans entiers de la réalité. Les conflits ou les désaccords sur les représentations télévisuelles apparaissaient peu dans le débat public. Les criques sur la télévision s’en emparaient parfois, mais les fictions françaises bénéficiaient d’une très bonne presse. Et seules, les minorités ethniques revendiquaient ouvertement une meilleure présence cathodique.
A travers son étude la fiction du début des années 90, Sabine Chalvon-Demersay insiste sur la spirale de pessimisme qui se déroule dans les scénarios : les auteurs dressent un constat des malaises sociaux et relationnels de la société individualiste et soumise à la compétition des places. Et face à la modernité, les personnages sont « plongés dans une problématique de l’impuissance » et « ont le sentiment qu’ils ont perdu toute possibilité d’agir sur leur propre destin ». Plutôt que de se donner des instruments pour penser le monde nouveau, les auteurs « opposent à un ordre ancien mauvais une libération qui n’a pas tenu ses promesses ». Ce qui n’empêche pas le happy ending, souvent « doux-amer », sur lequel se terminent ces récits. Ce qui n’empêche pas, aussi, d’introduire dans le comportement des personnages, une dimension morale et civique qui nourrit d’une énergie positive ces fictions, activant par là une conception bienveillante de la nature humaine.
Dix ans plus tard, la toile de fond n’a guère changé. Une étude élargie à l’ensemble des programmes dénonce cette même uniformité sociale9. Par ailleurs, Sabine Chalvon commente : « on a l’impression d’un lent rétrécissement de la palette des genres traités » (de plus en plus de polars »), de l’horizon temporel (de plus en plus actuel), du ton utilisé pour traiter les sujets, du type de personnage mis en scène, du mode de fonctionnement de ces personnages »10. Une impression confirmée par les scénaristes qui se révoltent régulièrement contre le formatage imposé par les décideurs des chaînes. Ajoutons que la mise en scène des couches moyennes ne concerne pas que la fiction. L’étude de Sébastien Rouquette11 sur les émissions de débat signale que leur principale caractéristique « ou en tout cas la plus constante, est en quelque sorte d’être fait pour et par les groupes sociaux à la tête des activités d’enseignement , de justice, de santé, de culture, d’information , d’administration et de communication ». Ainsi « que ce soit pour trouver des solutions, défendre des idées, juger ou expliquer son cas, montrer ce que l’on fait , bref que ce soit pour confronter des opinions singulières (présentation de soi) ou proposer une expérience représentative (témoignage) ce sont au fond toujours les mêmes qui, majoritairement, parlent ». Les documentaires relaient cette construction d’un monde replié sur lui-même. Loin d’ouvrir leur focale grand sur le monde, ils se centrent sur les incertitudes et déconvenues de la société française contemporaine, comme le font les fictions ou les débats.
Les téléspectateurs français ont longtemps adhéré à cette vision attachante de la société française qui figure comme une actualisation de la figure métaphorique portée par le cinéma hexagonal traditionnel, celle affiliée à Renoir et à son « réalisme poétique »12. Adhérer ne signifie pas croire à cette représentation, s’illusionner de son réalisme, mais plutôt éprouver un intérêt et un agrément à cette image, éventuellement s’en délecter, même si on a une pleine conscience de sa dimension factice. Cette fresque de la représentation n’est sûrement pas survenue de manière innocente et correspond à une période de bouleversements sociaux accélérés (droits de l’individu, mondialisation, etc). On peut appliquer à ce tableau la définition minimale de la culture proposée par Howard S. Becker : « Somme des attendus partagés que les individus utilisent pour coordonner leurs activités »13, « traces figées d’une action collective » en constante élaboration et qui correspond à un moment donné (« lorsque les conditions changent les individus inventent une nouvelle culture »). La notion « d’attendus partagés » est lourde de sens, si on la prend comme un code formel, des figures imaginaires, qui aident à vivre, à réfléchir et à échanger dans une société précise. C’est en s’appuyant sur cette idée de la création comme produit d’interactions , entre artistes, producteurs, diffuseurs, et public, que l’on peut tenter une lecture politique de cette production audiovisuelle.
De par le monde, l’attrait des téléspectateurs pour les programmes inscrits dans leur culture nationale ne se dément pas : chaque pays européen, par exemple, plébiscite des récits qui lui parlent de lui et de sa culture. Sur ce point, la télévision française n’est pas singulière. Sa timidité artistique l’est davantage. La relative redondance des milieux mis en scène, l’intérêt pour les sujets concernant la filiation ou la précarité du lien amoureux, l’ancrage sur les tourments de l’individu face à sa liberté : les filtres normatifs par lesquels passe un projet jusqu’à sa réalisation resserre la palette des possibles. Plus encore : le réalisme n’est pas le « fort » des fictions françaises (et sans doute des autres programmes). Les milieux décrits sont enjolivés, sur toile de fond de la complexité moderne c’est un pari sur la raison et la bonté des « héros » qui prévaut. Dans leurs décors, leur mode de vie, leur apparence physique, ceux-ci présentent une image un cran au dessus plus flatteuse que ne l’est la réalité. Le sordide et la misère extrême peuvent évidemment traverser les scénarios, le genre policier fournit un fil pour explorer ces univers, mais, une certaine idée de la justice ou de la réparation sociale finit toujours par triompher.
2007 : la société française divorce de son image rêvée
En 2007, le « ciel est tombé sur la tête des producteurs ». Pour la première fois sur les écrans français, les séries américaines emportent massivement l’adhésion du public et devancent les séries hexagonales. La fiction télévisée, genre noble de la télévision et fleuron de la politique de l’exception culturelle, voit sa légitimité ébranlée. La compétition franco-américaine se repère dans le classement annuel de l’audience des programmes télévisuels. En 2005, sur les 100 premières places figurent 56 soirées de fiction française ; en 2006, ce chiffre tombe à 39 ; en 2007, il chute à 12 ; en 2008, il en reste 13. Et la situation se dégrade encore plus en 2009, quand le nombre de fictions françaises dans ce palmarès chute à 4, alors que 64 fictions américaines y sont inscrites ! Une étude de 200914 montre d’ailleurs que sur toutes les grandes chaînes, la fiction française a perdu entre 10 % et 15 % d’audience.
Julie Lescaut, Une femme d’honneur, Femmes de loi, Joséphine ange gardien qui dominent depuis plus d’une décennie les soirées du royaume cathodique, sont détrônées. En face la série américaine les Experts, époustouflante réussite mondiale, emporte près de la moitié du top cent de la télévision ; Grey’s Anatomy ou Mentalist prendront le relais. Sur M6, Prison Break, Melrose, et Desperate Housewives battent aussi les fictions françaises. Sur France 2, à l’exception des adaptations de quelques oeuvres du patrimoine littéraire (les nouvelles de Maupassant, par exemple) la palme va à FBI portés disparus et Cold Case. Il ne reste que « Plus belle la vie » sur France (3,5 millions de spectateurs chaque jour à 20 h 10) , et scènes de ménage sur M6, qui menace en audience le Journal télévisé de TF1, pour sauver l’honneur de la fiction française.
Chaînes et producteurs ont tenté de réagir. France 2 a réduit ses formats, lancé quelques sujets audacieux (en 2005 , Clara Sheller, la journaliste trentenaire « coeur d’artichaud » , et son univers « branché » ; en 2006 , L’état de grâce , une femme présidente de la République ou la série de science-fiction David Nolande), programmé des feuilletons. TF1, s’inspirant de Grey’s Anatomy , a financé une série l’Hôpital : celle-ci a été forcée de s’arrêter après trois épisodes, faute d’audience. M6 a osé des formats décalés courts (Caméra Café et Kaamelott). Rien pourtant n’a arrêté la marche des séries américaines vers le peloton de tête, et en toute logique commerciale les chaînes privées en ont renforcé la présence : en 2009 sur 100 soirées de fiction, 49 sont américaines sur TF1 et 88 sont américaines sur M6, alors que les réseaux publics programment bien davantage des fictions françaises. Confrontées à la concurrence des opérateurs de la TNT, ces dernières puisent sans cesse davantage chez les fournisseurs d’outreatlantique pour « muscler » leur grille de soirée. Les difficultés de la fiction française pour se renouveler culminent aujourd’hui.
Est-ce grave ? Pour le public , sûrement pas. L’air du temps est aux séries américaines. Alors que les jeunes adultes délaissent les grands médias au profit d’internet , ces séries opposent un bastion de résistance au sein de la télévision. Plus curieux : elles agrémentent les grilles de la télévision française depuis des décennies sans susciter le moindre débat (à l’exception de l’appréciation affligée sur l’impérialisme des produits culturels yankee) , mais c’est seulement avec l’avènement, dans les années 90, des fictions de niche –donc déjantées, audacieuses, « non politiquement correct »– produites par le câble américain, que le regard s’est modifié. Encenser « Desperate housewives » ou « Ali McBeal » ou « Buffy » vous pose immédiatement en avant-gardiste, fin connaisseur des tendances contemporaines. Et ce, dans tous les milieux. Ainsi elles figurent comme un marqueur générationnel, un objet mythologique. Surtout, car elles sont magistralement créatives.
Le désamour du public envers les fictions françaises estil grave ? Pour le modèle audiovisuel français, sûrement. Très grave. La fiction recouvre bon an mal an la moitié des sommes allouées dans le cadre de « l’exception culturelle » à la télévision. Pour expliquer l’atonie créative de la fiction française les professionnels avancent deux arguments. D’abord, les chaînes, pétrifiées par la perspective d’être confronté à un accident industriel, n’oseraient pas prendre de risques sur des sujets et sur des styles narratifs inédits. Ensuite, l’argent serait insuffisant, en particulier il ne permettrait pas de subvenir aux dépenses de développement. Le premier point est vrai, encore qu’en télévision, comme pour d’autres biens culturels, l’innovation est un levier que tout éditeur de programme ne peut ignorer ou éluder. Mais ce média fonctionne sur un principe de familiarité avec les téléspectateurs, ce qui encourage un certain immobilisme des grilles. Le second point est plus discutable. Après un creux de vague à la fin des années 90, depuis 2000, les devis des fictions télévisées n’ont cessé d’augmenter, et l’apport des diffuseurs est en progression quasi continue (il passe ainsi de 60 % des devis en 2000 à 74 % en 2009). Certes, les sommes allouées au développement sont à l’échelle d’une nation de taille moyenne et sont loin des budgets octroyés aux scénaristes américains, mais elles demeurent conséquentes – en outre l’agence d’Etat, le Centre National de la Cinématographie (CNC), met à disposition des auteurs plusieurs fonds d’aide à la création.
Les freins à l’innovation ont d’autres causes. La fiction française, comme l’ensemble de la production aidée, repose sur une économie administrée, façonnée par un empilement d’obligations. A ces dispositions s’ajoutent des mesures en faveur d’une externalisation de la fabrication : en gros, les deux tiers des montants d’investissements doivent aller vers des unités de production indépendantes des chaînes. Enfin, les conventions de chaînes prévoient des obligations spécifiques qui varient selon chaque réseau et qui peuvent toucher l’animation, les programmes jeunesse, ou le spectacle vivant.
Le marché de la fiction télévisée française est presque essentiellement de taille nationale, les apports étrangers via des coproductions sont faibles, et les recettes à l’exportation sont du même ordre, ainsi que nous l’avons vu. Seules les chaînes généralistes financent de la fiction télévisée avec comme souci essentiel de conquérir un public national, peu leur importe de savoir quels critères pourraient être pris en compte pour séduire le marché planétaire. Cette dépendance d’un marché étroit, commandes obligées de quatre ou cinq clients, engendre une inertie culturelle. Disons-le carrément : le système sécrète une certaine sclérose. Cette difficulté à évoluer incite alors les chaînes acheteuses de fiction à rechercher d’autres sources d’approvisionnement, en particulier auprès des producteurs américains. Des achats qui coûtent entre quatre et dix fois moins cher que la fabrication d’une fiction française.
Au delà de la sclérose engendrée par le modèle économique, de multiples autres facteurs ont été explorés pour expliquer la désaffection du public : les modes qui changent, les nouveaux genres télévisuelles plus en phase avec les attentes de la jeunesse (les reality shows, les séries américaines), la rigidité du format français –les 90 mn calqués sur le format du cinéma–, le turn over de responsables des unités de fictions de chaînes, etc. Aucune explication ne semble suffisante pour rendre compte d’un phénomène qui concerne essentiellement la France, alors que dans les autres pays européens (Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, Espagne) les fictions nationales continuent de dominer largement l’audience15.
L’image rêvée de la société française construite dans les fictions des années 90 et 2000 ne fait plus rêver personne, tant elle est déconnectée de la réalité et distante des sentiments profonds de la population. L’image de la France qui cultive son art de vivre, son modèle social de solidarité et son goût d’une certaine liberté ne fait plus recette. Peu de personnes se reconnaissent dans ce miroir enchantée, sauf peut être dans la population très âgée. La crise de la fiction française exprime, à côté d’autres signes maintes fois révélés par des études et des sondages,–pessimisme, difficulté à se projeter vers l’avenir, déficit de confiance dans l’avenir, abstentionnisme électoral–, une crise de la représentation. Il est possible que, pour le moment, le public français n’ait pas envie de voir son reflet, e/tou, qu’aucune image ou récit n’arrive à rendre compte d’une société déboussolée et qui s’aime peu.
La télévision généraliste, socle financier des industries culturelles
Curieusement, ce fait est passé sous silence : la télévision généraliste est le banquier principal des industries de l’image, la centaine de chaînes du câble, du satellite et de la télévision numérique terrestre (TNT), ne participant qu’à la portion congrue. Pourquoi ? D’une part, en raison des besoins de production inédite, clef du succès pour les grilles de soirée sur les grandes chaines ; d’autre part, en raison des multiples obligations d’investissement et des règles de diffusion qui sont posées par la loi audiovisuelle aux télévisions françaises. Le poids que représente ce média comme initiateur et investisseur de contenus est impressionnant. Ainsi :
-La très grande partie des jeux, magazines ou téléréalité, sont financées à 100 % par des généralistes historiques. Donnons quelques exemples français de producteurs façonniers entièrement financés par les chaines généralistes. Endemol France produit Secret Story, La Ferme Célébrités, l’île de la tentation, Les enfants de la télé, la Roue de la fortune, etc., pour TF1 –toutes les productions de Endemol, à l’exception du magazine de Morandini sur Direct 8 sont financées par TF1, qui a noué un contrat d’exclusivité avec ce producteur. W9, filiale à 100 % de M6 produit pour cette chaîne et ses chaînes filiales (notamment la chaine W9). Freemantle produit pour diverses chaines , mais surtout pour M6 (l’ex-Supernanny, La nouvelle Star, X Factor), et éventuellement France 3 (Questions pour un champion). Adventure Line Productions (Koh Lanta, Ford Boyard, etc ) qui appartient à Zodiak Media Group, produit aussi pour plusieurs chaines. De fait, les multi nationales du divertissement ont pour clients quasi uniques des grandes chaines généralistes, qui achètent l’exclusivité nationale de formats conçus en leur sein.
-les fictions télévisées : en 2009, elles sont financées à 74% par les diffuseurs –et 10, 8 % par le COSIP16 et 2,6 %d’apports de ventes et co production à l’étranger -. Et surces 74 % provenant des chaines17, presque l’essentiel (98 %) provient des grandes généralistes.
-Pour le documentaire la dépendance à l’égard des grandes chaînes de télévision est plus faible : en 2009, 47 % des financements proviennent des diffuseurs -19 % pour le COSIP et 6 % des ventes et co productions à l’étranger . Mais 80 % du financement issu de la télévision émane des généralistes (presque essentiellement des réseaux publics).
-Pour le cinéma, la dépendance à l’égard du financement de la télévision est du même ordre : en 2010, les 203 films d’initiative française ont reçu 32, 5 % de leur financement directement de la part des chaines de télévision, et environ 10 % de façon indirecte18.
Ces chiffres sont éloquents. La production de programmes de télévision et du cinéma en France :
-repose sur les diffuseurs généralistes, en dépit d’une nuée de nouvelles chaînes. Cette dépendance qui marquait la télévision à l’époque du monopole, a perduré lors de la mise en place des généralistes commerciales et elle évolue peu19.
-s’exporte modestement à l’étranger (100 millions de recettes en 2009 pour les programmes de télévision et 350 millions de recettes pour les films de cinéma français à l’étranger). Ces chiffres toutefois sont en forte progression, surtout pour le cinéma dont les recettes ont été multipliées par trois en dix ans.
-repose sur des petites entreprises de productions ou des filiales de groupes internationaux pour les programmes de flux.
Or, quelle est la situation économique des chaines généralistes ? Elles sont prises dans une tourmente. D’abord celle de l’audience due à la concurrence des nouveaux réseaux. Ensuite elles sont confrontées à des difficultés financières qui résultent de cette diminution de l’audience et aussi de la crise publicitaire qui sévit depuis 2008.
Ainsi, depuis une quinzaine d’années, elles subissent une érosion alors que, comme nous l’avons vu, la croissance d’écoute de la télévision en général n’a cessé de progresser. Les chaînes historiques (TF1, FR2, FR3, FR5, Arte , M6 et Canal +) ne représentent plus que 72 % de l’audience de télévision alors que les petites chaînes grimpent en audience, en particulier celles, gratuites, de la TNT qui captent 19, 7 % d’audience en 2010. Pour prendre deux exemples : TF1 passe de 37 % de part d’audience en 1995 à 24, 5 % en 2010, et FR2 de 23, 8 % de part d’audience à 16, 1 %.
En 2008 et 2009 les grandes chaînes nationales ont vu leurs recettes publicitaires diminuer : de 5, 5 milliards d’euros de recettes brutes elles baissent à 5 milliards d’euros. Et si en 2010 ce chiffre remonte presqu’à l’étiage d’auparavant (5, 4 milliards d’euros) leur part relative dans le gâteau publicitaire de la télévision ne cesse de décroitre : en 2010 elles captaient 67 % de la rente publicitaire contre 82 % en 2007. Dans ce mouvement les nouvelles chaînes de la TNT sont les gagnantes : 1, 9 milliards de recettes publicitaires (données brutes). Cette affaiblissement des recettes des grandes chaines nationales s’est immédiatement traduite par des compressions drastiques des coûts de grille pour les chaines privées entre 5 % et 10%. Cette compression n’a pas eu lieu sur les chaines publiques qui sont moins dépendantes des aléas publicitaires.
La réorganisation des budgets des chaines publiques avec la disparition progressive de la publicité décidée en 2008 par le gouvernement Sarkozy et l’instauration de nouvelles taxes pour compenser cette perte (taxe sur les opérateurs de télécoms et sur les recettes des chaînes privées ) met néanmoins ces dernières dans une situation financière fragile. Ces taxes ont fait l’objet de divers recours : la plainte des opérateurs de téléphonie auprès de la Commission européenne semble prospérer puisque la Commission a demandé à la Cour européenne de Justice de trancher le différend existant à propos de cette taxe (jugement avant fin 2012). En outre, les télévisions privées se mobilisent régulièrement en faveur d’une renégociation de la taxe de 3 % sur leurs recettes publicitaire – en 2011, la majorité parlementaire semble favorable à une réduction de ce pourcentage et, en compensation, envisage de laisser des écrans de publicité pour France-Télévisions durant la journée, un choix qui s’inspire du modèle de la télévision publique allemande. En 2009, l’Etat a du verser une dotation de 450 millions à France-Télévisions pour boucler son budget.
L’industrie des programmes est ainsi confrontée à un paradoxe : alors que les écrans de diffusion se sont démultipliés, le socle de son financement premier –les recettes des chaînes généralistes- s’est fragilisé. Et les recettes issues du second marché des chaînes de niche et d’internet, ainsi que celles provenant de l’exportation, peinent à se développer.
Conclusion
La télévision (comme la radio) n’est pas une donnée indépendante, une sorte d’agent d’extériorité dont on pourrait mesurer les effets. Elle est un rouage extrêmement puissant incorporé à la société, une source d’énergie, une matrice de la culture (la féérie visuelle), un démultiplicateur d’imaginaire, un gyrophare qui embrasse le monde en permanence, mais qui le capte en usant de sa propre focale, sa propre profondeur de vue, son propre accompagnement verbal c’est pourquoi il est intéressant de regarder ce qu’il produit psychiquement, et ce qu’elle renvoie de nous à travers son prisme. Ce sismographe des humeurs et des préoccupations s’accorde à une sensibilité nationale ou régionale, l’exemple de la télévision française en témoigne : la crise morale de la population, cette vague dépression tant répertoriée par des études et des sondages, se répercute dans la désaffection à l’égard de ses productions de fiction.
Simultanément, l’intérêt pour ce média ne faiblit pas, même s’il s’écarte un peu des généralistes au profit des chaînes ciblées, dans un paysage devenu fortement concurrentiel. Pourquoi, malgré tout, la télévision généraliste demeure-telle comme le coeur battant du système médiatique, en dépit de fragilités que nous avons soulignées ? D’abord, elle possède la puissance financière, qui permet d’entretenir d’abondantes rédactions, et d’investir dans des programmes exclusifs à forte valeur ajoutée (fictions, documentaires, reportages, spectacles télévisuels, cinéma). En un mot, elle est la banquière des industries de l’image. Par ailleurs, elle est mue d’une puissance fédératrice : en réunissant des publics différents elle créée l’intuition d’une expérience partagée à une échelle qu’aucun autre média n’atteint. Enfin, elle décuple les forces d’imagination. En ce sens, elle s’inscrit comme un viatique du quotidien des sociétés modernes démocratiques, car elle le charge de « son réalisme magique », de cette sorte d’aura immatériel , de ce supplément spirituel, ce ciel des idées, qui colorent de mille nuances le vécu20.
Notes
1 Les travaux portent souvent sur les enfants téléspectateurs –voir l’étude de Eleanor Maccoby de 1951 ou de William Schramm et alli, 1958-1961, de Matilda et John Riley sur « choix de programmes par les enfants et les modes de réception », etc.
2 Gabriel Tarde, L’opinion et la conversation, revue de Paris, 15 août 1899 et 1er septembre 1899 ; réédité dans Gabriel Tarde, L’opinion et la foule, Paris, 1901.
3 Gilles Achache, Le complexe d’Arlequin, Eloge de notre inconstance, Grasset, 2010.
4 Monique Dagnaud, Les artisans de l’imaginaire, Comment la télévision fabrique la culture de masse, Armand Colin, 2006.
5 Michael Schudson, La culture et l’intégration des sociétés nationales, Revue Internationale des Sciences sociales, février 1994.
6 Benedict Anderson, L’imaginaire national: réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 1996.
7 Monique Dagnaud, Exception culturelle : une politique peut en cacher une autre, Le Débat, n° 134, mars-avril 2005.
8 Monique Dagnaud, Les artisans de l’imaginaire, Comment la télévision fabrique la culture de masse, op. cit.
9 Eric Macé, La société et son double, Armand Colin, 2006.
10 La gazette des scénaristes, Le mal français, n°20, janvier 2004.
11 Sébastien Rouquette, L’impopulaire télévision populaire, ed. L’Harmattan, 2003.
12 Jean-Michel Frodon, La projection nationale, Ed. Odile Jacob, 1998, page 93.
13 Howard S. Becker, Propos sur l’art, L’Harmattan, 1999.
14 Etude NPA pour le Festival de fiction de la Rochelle 2009.
15 Pour une relance de la fiction française, étude CSA, novembre 2010.
16 Compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels.
17 Tous rangs de diffusion confondus.
18 3, 6 % issus des parts de co-production des chaînes, 28, 9 % en préachats. Il faut ajouter à ces chiffres 8, 7 % d’aides publiques qui proviennent de taxes sur les distributeurs, en premier lieu prélevées sur la télévision.
19 Monique Dagnaud, Médias : promouvoir la diversité culturelle, La Documentation française, 2000.
20 Michel Maffesoli, Le temps revient, formes élémentaires de la postmodernité, Ed Desclée de Brouwer, 2010.
Références
- ACHACHE, Gilles (2010). Le complexe d’Arlequin, Eloge de notre inconstance. Paris : Grasset.
- ANDERSON, Benedict (1996). L’imaginaire national: réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme. Paris : La Découverte.
- BECKER, Howard S. (1999). Propos sur l’art. Paris : L’Harmattan.
- DAGNAUD, Monique (2000). Médias : promouvoir la diversité culturelle. La Documentation française.
- DAGNAUD, Monique (2005). “Exception culturelle : une politique peut en cacher une autre”, Le Débat, n° 134, mars-avril.
- DAGNAUD, Monique (2006). Les artisans de l’imaginaire, Comment la télévision fabrique la culture de masse. Paris : Armand Colin.
- FRODON , Jean-Michel (1998). La projection nationale. Paris : Ed. Odile Jacob.
La gazette des scénaristes, Le mal français, n° 20, janvier 2004. - MACÉ, Eric (2006). La société et son double. Paris : Armand Colin.
- MAFFESOLI, Michel (2010). Le temps revient, formes élémentaires de la postmodernité. Paris : Ed. Desclée de Brouwer.
- NPA Conseil, Etude pour le Festival de fiction de la Rochelle, 2009.
- RILEY, John and Mathilda WHITE RILEY. “Choix de programme par les enfants et socialisation”, in Monique DAGNAUD (dir.) (2003). Médias et violence l’état du débat. La documentation Française.
- ROUQUETTE, Sébastien (2003). L’impopulaire télévision populaire. Paris : Ed. L’Harmattan.
- SCHUDSON, Michael (1994). “La culture et l’intégration des sociétés nationales”. Revue Internationale des Sciences sociales, février.
- Société d’études stratégiques pour le cinéma et l’audiovisuel (SESCA), Pour une relance de la fiction française, Étude CSA, novembre 2010.
- TARDE, Gabriel, L’opinion et la conversation, revue de Paris, 15 août 1899 et 1er septembre 1899 ; réédité sous le titre de L’opinion et la foule, Paris, 1901.