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JUpiter ICy moons Explorer (JUICE): une mission de l’ESA pour explorer l’émergence des mondes habitables autour des planètes géantes gazeuses.

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Résumé

La mission spatiale JUICE a été sélectionnée par l’Agence Spatiale Européenne en tant que première mission large du programme Cosmic Vision. Cette mission partira en 2022 pour étudier entre 2030 et 2033 le système de Jupiter dans son ensemble (planète, magnétosphère, lunes), et en particulier la lune de glace Ganymède. Dans ce chapitre, les objectifs scientifiques de cette mission ambitieuse sont présentés. Les caractéristiques du profil de la mission sont expliquées, et les différents instruments scientifiques qui ont été choisis sont brièvement présentés. De par ses objectifs, JUICE va apporter des réponses à la question de l’habitabilité du système solaire externe. Un accent particulier a donc été mis dans deux sections de ce chapitre sur d’une part les raisons qui poussent aujourd’hui à penser que le système Jovien est sans doute habitable, et d’autre part sur les informations que JUICE nous procurera pour les lunes Europa et Ganymède.

Mots-clés

Système de Jupiter, exploration spatiale, habitabilité des lunes galiléennes, mission JUICE-ESA.

Introduction

Parmi les très nombreuses activités de l’agence spatiale européenne, l’exploration du système solaire tient une place importante. Ainsi, au cours des trois grands programmes décennaux qui déclinent les stratégies scientifiques de l’ESA, des missions dédiées à l’exploration du système solaire ont été sélectionnées. Ces trois programmes sont : Horizon 2000 (1986-2005) ; Horizon 2000+ (2005-2015) ; et Cosmic Vision (2015-2025). L’ESA contribue d’abord via des missions de taille moyenne (3-4 tous les dix ans). Ainsi, deux missions dédiées à l’observation du soleil ont été développées (SOHO dans Horizon 2000 ; Solar Orbiter dans Cosmic Vision), une a été envoyée vers Vénus (Venus Express dans Horizon 2000+) et devrait achever son activité à la fin de l’année 2014, et une vers Mars (Mars Express dans Horizon 2000). Il existe aussi de très nombreuses contributions à d’autres programmes d’exploration émanant d’autres agences spatiales. L’un des plus conséquents et des plus marquants est sans nul doute la sonde Huygens qui s’est posée à la surface de Titan en 2004. Cette sonde de l’ESA a été la contribution principale de l’agence européenne à la mission Cassini de la NASA. Enfin, il faut noter que dans chaque programme une mission large (2 missions environ par décade)  a été ciblée vers un objet du système solaire. La première d’entre elle fut la mission Rosetta, qui fût préparée il y a plus de 20 ans dans le cadre d’Horizon 2000. Cette mission est actuellement autour de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko et devrait ramener dès Août 2014 une moisson de nouvelles données sur la structure et la composition des noyaux cométaires, archives de notre système solaire.  La seconde est la mission Bepi-Colombo, sélectionnée dans le cadre d’Horizon 2000+. Il s’agit d’un orbiteur de la planète Mercure qui arrivera en 2022, et qui sera complété par un second orbiteur fourni par l’agence spatiale japonaise (JAXA). Enfin, en 2012, l’ESA a sélectionné le projet JUICE pour aller explorer le système de Jupiter plus de 20 ans après la mission américaine Galiléo. Cette mission est la première mission large de Cosmic Vision. JUICE sera lancée en 2022 et arrivera à Jupiter en Janvier 2030. Ce sont les enjeux et les objectifs de cette mission qui sont développés dans cet article.

Le système de Jupiter est un système extrêmement complexe qui ne peut pas être étudié dans son intégralité par une seule mission spatiale. Pour JUICE, il a été choisi d’explorer le système Jovien en se basant sur deux thèmes scientifiques qui sont d’une part l’étude de l’émergence des mondes habitables dans l’environnement des planètes géantes, et d’autre part l’étude du système planétaire en tant qu’archétype des systèmes de planètes géantes.  Le premier thème, relié à l’habitabilité, se focalise donc sur les trois lunes gelées Europe, Ganymède, et Callisto avec un accent plus particulier sur Ganymède. Le second thème se focalise sur la planète géante, sa magnétosphère, les petits corps, ainsi que les processus de couplage dans le système planétaire.

La section suivante présente brièvement un état des connaissances du système de Jupiter et situe les objectifs de JUICE dans ce contexte. Une brève description du concept de mission envisagé est aussi présentée dans cette section, afin de présenter le calendrier envisagé, présenter les instruments scientifiques embarqués, et aussi insister sur dimension internationale du projet. Ce dernier point n’est certes pas unique à JUICE mais est bel et bien une réalité dans le domaine du spatial du fait de la complexité des projets. La suite du chapitre se concentre sur les questions qui concernent l’habitabilité du système Jovien. La section III explique pourquoi nous pensons aujourd’hui que les lunes de glace de Jupiter sont sans doute habitables. Dans la dernière section, les objectifs de JUICE sur ce thème spécifique de l’habitabilité sont alors exposés en détail.

I. Les objectifs scientifiques de la mission JUICE

I.1. Connaissances actuelles et questions posées

Le système de Jupiter se distingue d’abord par le fait qu’il possède la plus grosse planète du système solaire ainsi que la plus grande et active magnétosphère planétaire. Il est ensuite caractérisé par la présence de 4 lunes géantes – les satellites galiléens (Io, Europa, Ganymède, et Callisto), d’un système d’anneaux, de 4 petits satellites internes (Metis, Adrastea, Amalthea, and Thebe) situés entre Io et Jupiter, et d’un important nombre de satellites irréguliers (55 connus à ce jour). Tous ces objets interagissent entre eux selon des processus de couplage liés aux interactions électromagnétiques d’une part, et aux interactions gravitationnelles d’autre part. Il s’agit bien d’un système planétaire dans toute sa complexité, qui fait que l’on parle parfois du système Jovien en tant que mini système solaire. Dans cette première partie, les caractéristiques principales du système Jovien sont présentées, tant du point de vue des connaissances que des interrogations. Pour chaque objet décrit, les différents objectifs de JUICE sont aussi explicités brièvement.

Jupiter est la plus grande planète du système solaire. Elle est considérée comme l’archétype des exoplanètes gazeuses autour d’autres systèmes stellaires. Il s’agit d’une planète géante gazeuse. Nous n’avons accès qu’à la partie très supérieure de son atmosphère, qui présente dans le domaine visible des bandes latitudinales séparées entre elles par de puissants vents zonaux, et perturbées par de nombreux tourbillons, tempêtes, … Bien que principalement constituée d’Hydrogène et d’Hélium, Jupiter possède aussi des très nombreux autres composants (CH4, PH3, NH3, H2S, H2O, …). La plupart de ces composants sont plus abondants sur Jupiter que dans le Soleil.  Il y a déjà eu de très nombreux travaux s’intéressant à la composition globale, à la distribution des éléments, et à la dynamique de l’atmosphère. Il existe de plus d’intenses mouvements verticaux entre les différentes couches qui permettent d’échanger de la matière, de l’énergie, et du mouvement. Mais ceux-ci sont encore très mal compris. En plus des missions spatiales Voyager, Galileo, et de la mission Juno actuellement en route vers la planète géante, il convient de noter ici que de très nombreuses observations sont réalisées depuis le sol ou avec le télescope spatial Hubble. JUICE va permettre de progresser dans notre compréhension de la planète géante, de par sa capacité à explorer différentes couches de son atmosphère depuis la haute troposphère (quelques kilomètres autour de la surface visible – accessible dans les domaines visible et infrarouge), la totalité de la stratosphère ( jusqu’à 200 km au dessus de la surface visible, accessible par les ondes radio et les ondes submillimétriques), et une grande partie de la thermosphère (de 200 jusqu’à au moins 600 km au dessus de la surface visible – accessible par l’UV). JUICE complétera ainsi les données de Juno qui seront obtenues dans un domaine de plus grande profondeur. Durant les trois années de la mission dans le système de Jupiter, il sera ainsi possible d’obtenir des données à très hautes résolutions spectrales et spatiales qui permettront de mieux comprendre la distribution des éléments, la composition globale et la dynamique des enveloppes, à la fois dans les directions latérales et verticales (Figure 1).

Figure1

Figure 1. Quelques exemples des objectifs scientifiques de JUICE à Jupiter. Chaque image illustre un aspect différent de Jupiter en fonction de la longueur d’onde utilisée. A titre d’exemple et non dans un but exhaustif, quatre types de  longueur d’ondes ont été choisies  pour cette figure. Dans le domaine visible, les vents zonaux sont clairement identifiables (centre, image HST, crédit: NASA/ESA/A. Simon-Miller/I/ de Pater) Dans l’infrarouge proche, les propriétés des nuages peuvent être analysées (gauche, Gemini/NIRI image, crédit: Gemini observatory/AURA/L.N. Fletcher) tandis que l’infrarouge moyen est plus favorable à l’étude de la dynamique et de la composition globale (droite, crédit: NASA/IRTF/G.S. Orton, 5 m image). Enfin, l’ultraviolet est très utile pour étudier les phénomènes auroraux aux pôles (haut et bas, crédit: NASA/ESA/J. Clarke).

Jupiter possède une magnétosphère géante issue d’un champ dipolaire. Celle-ci s’étend de quelques rayons joviens en direction du soleil pratiquement jusqu’à Saturne dans la direction opposée. Cette magnétosphère constitue le plus grand objet planétaire du système solaire.  Elle est aussi à l’origine de nombreux phénomènes dynamiques de couplage qui relient les différents objets du système de Jupiter. En premier lieu, la magnétosphère tourne autour de Jupiter en un peu moins de 10h00, impactant ainsi la surface des lunes de façon continue. La manifestation la plus évidente de ce phénomène est le tore de Io. Io, lune la plus proche de Jupiter et qui connaît un volcanisme très actif, éjecte environ 1 tonne / seconde de matériel riche en soufre en continu. La majeure partie de cette matière éjectée dans l’espace est ionisée puis entrainée dans les courants magnétosphériques ce qui crée un tore de particules le long de l’orbite de Io. Au cours du temps, une partie significative de la matière ainsi dispersée est entrainée vers l’extérieur du système, formant le magnétodisque, gigantesque structure en rotation et extrêmement complexe du point de vue dynamique, qui englobe les lunes géantes. La dynamique de ce système complexe, et en particulier les processus de couplage entre la magnétosphère, le magnétodisque, et les lunes, sont encore très mal compris. C’est pourquoi une partie des objectifs de JUICE va être dédiée à la caractérisation de cette magnétosphère et de son magnétodisque, tant du point de vue de leur structure, de leur composition, que de leur dynamique. JUICE permettra aussi de mieux comprendre l’impact de cet environnement dynamique sur la composition et l’altération de la surface des lunes, en particulier autour de Ganymède puisque la mission orbitera autour de la lune pendant presque une année. Il n’est pas nécessaire de détailler ici plus en détail la nature de ces observations qui sortent du cadre de ce chapitre, et font appel à des connaissances pointues sur la physique des champs magnétiques et des plasmas, mais le lecteur intéressé pourra trouver les informations dans la revue détaillée de l’ensemble des objectifs de JUICE qui est parue dans un article en 2013 (Grasset, 2013 : 1).

Les satellites galiléens sont au nombre de quatre. En s’éloignant de Jupiter, on trouve Io, seul satellite ne possédant pas de glace et constitué uniquement de roches et de Fer, Europe qui contient environ 10 % d’eau en masse, puis Ganymède et Callisto qui possèdent jusqu’à 50 % d’eau en masse. A titre de comparaison, il faut rappeler que la Terre ne contient que 0,01% d’eau en masse totale. Les quatre lunes ont une activité géologique qui décroit avec la distance à Jupiter. Ainsi, Io fait partie des trois corps possédant une activité géologique démontrée (avec la Terre et Encélade, le cas d’Europe restant encore incertain), Europe a une surface vieille de quelques centaines de milliers d’année au plus, Ganymède est géologiquement inactif depuis plusieurs centaines de millions d’années, et Callisto est resté inchangé depuis au moins 3 milliards d’année. Ganymède est sans doute le plus complexe. Ainsi, il possède à la fois des terrains très vieux comme Callisto et des terrains plus jeunes qui sont très semblables à Europe. De plus, il possède un champ magnétique dipolaire (tout comme la Terre et Mercure). Finalement, il existe un océan profond piégé entre deux couches de glace ce qui le rend potentiellement habitable (voir section 2). JUICE va explorer l’ensemble du système, mais avec un accent tout particulier pour cette lune géante. Les observations détaillées de JUICE sur ces lunes potentiellement habitables seront décrites dans la dernière section de ce chapitre.

Finalement, il faut rappeler que le système de Jupiter est aussi constitué d’un grand nombre de petits corps. Les quatre satellites internes aux anneaux, les anneaux eux-mêmes, et les très nombreux satellites irréguliers présents au delà des lunes galiléennes sont sans nul doute d’un très grand intérêt pour comprendre le système Jovien dans son ensemble. Mais les observations sur ces objets sont plus rares du fait de leur petite taille et de la difficulté que l’on a à les observer. JUICE pourra apporter quelques contraintes sur la nature et la dynamique des objets internes lors de ses nombreux passages à proximité de Jupiter et aussi lorsqu’il survolera Europe, la seconde lune. Il sera sans doute plus difficile d’observer les satellites externes car aucun d’entre eux n’a une trajectoire permettant des observations rapprochées dans le scénario de mission actuellement adopté. Il sera toutefois possible d’obtenir des images et des analyses spectrales des surfaces de ces objets avec très hautes résolutions spectrales et spatiales comparé à ce qui est disponible aujourd’hui. Celles-ci permettront sans doute de mieux cerner la composition globale et l’origine d’un petit nombre de ces objets.

I.2. Le concept de la mission JUICE

Afin de remplir tous les objectifs présentés dans la section précédente, il a fallu définir plusieurs phases orbitales dédiées. La mission nominale de JUICE est séparée en plusieurs phases qui sont illustrées dans la figure 2. Il est important de noter que le profil de mission est encore à l’étude en 2014 et que les informations fournies dans cette section sont à titre indicatif. Le lancement est actuellement prévu en 2022. JUICE utilisera un survol de Vénus et deux survols de la Terre pour accélérer et arrivera ainsi à Jupiter en Janvier 2030, soit 7,6 années après son lancement (phase 1). La première phase d’études scientifiques débutera dès l’insertion dans le système Jovien et consistera en plusieurs survols des lunes et de Jupiter sur des orbites dans le plan équatorial pendant onze mois (phase 2). Cette phase sera utilisée pour explorer le système en général et abordera tous les objectifs scientifiques dans le cadre d’une première reconnaissance. Puis, lors d’un survol de Callisto, la sonde sera lors envoyée sur une orbite résonnante qui lui permettra d’approcher Europe sur deux survols avant de rejoindre Callisto (phase 3). Cette phase très courte (36 jours) sera dédiée à l’étude très détaillée des zones à fort intérêt géologique, chimique, et astrobiologique d’Europe. Elle sera aussi exploitée pour travailler sur les objets internes du système (Io, les anneaux, et les 4 petites lunes à l’intérieur des anneaux). Puis la sonde utilisera alors Callisto pour s’élever au dessus du plan équatorial sur quelques orbites elliptiques autour de Callisto afin de sortir temporairement du magnétodisque (phase 4). Cette phase particulière qui durera au moins 6 mois permettra d’une part d’étudier la lune Callisto, mais elle sera surtout dédiée à l’étude de la magnétosphère jovienne. Ce sera en effet la première fois qu’une mission spatiale sortira du magnétodisque et pourra explorer des régions encore inconnues de l’environnement jovien. Cette phase permettra de plus d’étudier Jupiter avec des vues nadir à moyenne latitude, ce qui facilitera en particulier l’étude des régions polaires, avec un focus particulier sur la dynamique de la stratosphère qui n’aura pas été observée par la sonde JUNO et sur les intenses phénomènes auroraux. Ensuite, JUICE reviendra sur une orbite équatoriale pour un nouveau tour de 11 mois avec cette fois des objectifs plus ciblés sur les différents objets du système (phase 5). Puis, la mission se mettra alors en orbite autour de Ganymède en alternant des phases fortement elliptiques (phases 6 et 8) permettant des observations à différentes altitudes et dans différents environnements magnétiques, et deux phases en orbite circulaire (5000 km – phase 6, et 500 km – phase 9). La mission restera autour de Ganymède pendant 9 mois au minimum.

Figure2

Figure 2. Les phases orbitales de JUICE. Le triangle à l’envers indique l’insertion dans le système de Jupiter. Les triangles à l’endroit indiquent les survols planifiés dans le profil de mission pour Jupiter et pour chaque lune. Les différentes phases sont détaillées dans le texte.

L’instrumentation spatiale sélectionnée pour cette mission consiste en dix instruments complémentaires répartis selon trois groupes. Quatre instruments serviront à explorer les surfaces des lunes et les différentes couches de l’atmosphère jovienne. Il s’agit d’un système d’imagerie visible à très haute résolution spatiale et multicanal sous responsabilité italienne (JANUS), d’un système d’imagerie hyperspectral dans le visible et le proche infrarouge sous responsabilité française (MAJIS), d’un spectromètre ultraviolet américain (UVS), et d’un spectromètre hétérodyne dans le domaine des ondes sub-millimétriques sous responsabilité allemande. Le second groupe, dédié à l’analyse des structures profondes et à l’étude de la forme des lunes, est constitué de trois instruments. Un laser altimètre (GALA) sous responsabilité allemande, un système radar de subsurface (RIME) et un système de radioscience (3GM), tous deux sous responsabilité italienne. A noter que le système radioscience n’est pas uniquement dédié à la géophysique mais aussi à l’analyse des atmosphères lors des occultations. Finalement, un groupe d’instrument est dédié aux études « in situ ». Il s’agit du magnétomètre qui mesurera en continu le champ magnétique (JMAG sous responsabilité anglaise), d’un instrument dédié à la caractérisation et à l’imagerie des particules neutres et ionisées (PEP), et d’un instrument dédié à l’étude des ondes radios et plasmas (RPWI). Ces deux instruments sont sous responsabilité suédoise. L’effort international mené pour mettre en place une telle instrumentation de très haute technologie et répondant aux contraintes drastiques imposées par les vols spatiaux vers l’environnement jovien (durabilité, contraintes thermiques, radiations, …) dépasse très largement le cadre des nations indiquées ci-dessus. En effet chaque instrument est en réalité conçu par des consortiums internationaux. C’est une condition indispensable à la réalisation d’un projet de cette envergure.

Après cette présentation des objectifs scientifiques de JUICE et des principales caractéristiques de la mission, il est utile d’expliquer plus en détail pourquoi JUICE est considérée comme un mission dont l’objectif affiché est d’explorer l’émergence des mondes habitables. Cela fera l’objet du troisième chapitre. Mais avant tout, il convient de rappeler ici pourquoi l’environnement jovien est considéré habitable. C’est l’objet de la section suivante.

II. L’habitabilité du système de Jupiter

La notion d’habitabilité doit être comprise en tant que potentiel pour un environnement (passé ou présent) d’abriter la vie sous quelque forme que ce soit, ce qui implique que le fait que la vie soit présente ou non n’est pas un facteur à considérer. Ainsi, la notion d’habitabilité en planétologie est découplée du vivant, et la recherche d’environnements habitables n’est pas reliée à la recherche d’êtres vivants. De fait, les techniques d’analyses à employer selon que l’on souhaite étudier l’habitabilité d’un environnement, ou que l’on recherche la vie, sont radicalement différentes.

En premier lieu, un environnement habitable doit impérativement permettre à l’eau liquide d’exister de manière durable. Autant l’eau est un élément extrêmement abondant dans le système solaire, autant il est difficile de la conserver sous forme liquide dans le système solaire. En second lieu, il importe de trouver les  six éléments chimiques indispensables au vivant (C,H,O,N,P,S). Sur Terre aucun être vivant, aussi simple soit-il, ne peut exister si l’un de ces éléments est manquant, et il est communément admis que cette règle doit s’appliquer aussi sur les autres objets planétaires. Ensuite, il importe d’avoir de l’énergie disponible sous quelque forme que ce soit (solaire, thermique, chimique) car tout être vivant requiert de l’énergie à son environnement. Finalement, il est indispensable que l’environnement possédant les trois premières conditions soit stable dans le temps sur des périodes géologiques autorisant l’apparition de la vie. C’est seulement lorsque ces quatre conditions sont remplies que l’on peut parler d’environnement habitable en planétologie.

Dans le système solaire interne (jusqu’à la ceinture d’astéroïdes au delà de Mars), il est désormais démontré que la Terre est le seul corps planétaire qui possède ces quatre conditions. L’eau liquide ne peut exister ni à la surface ni à l’intérieur des planètes rocheuses, excepté dans le cas de la Terre. Mars demeure un cas particulier où il s’avère que l’environnement de surface a été habitable il y a plus de 3 milliards d’années. Mais ces conditions favorables à l’apparition et au développement de la vie ont disparu lorsque Mars a perdu l’essentiel de son atmosphère.

Figure3

Figure 3 : vues d’artiste des structures internes de Ganymède (gauche – Image Courtesy ESA) et Europe (droite- Image courtesy NASA/JPL/Michael Carroll). L’existence des réservoirs liquides ne fait guère de doute dans la communauté scientifique. Sur Europe, les conditions existant au fond de l’océan sont très similaires à celles des océans terrestres au niveau des dorsales médio-océanique, où de la vie se développe en absence totale de lumière. Par contre, l’habitabilité de Ganymède n’est pas garantie car les silicates, sans doute nécessaires pour générer une chimie complexe et des échanges énergétiques avec le liquide, sont sous plusieurs centaines de kilomètres de glace de haute pression. L’habitabilité des lunes géantes dépend de la capacité de cette couche profonde à échanger matière et énergie entre les silicates et l’océan (ellipse blanche).

Dans le système externe, il est désormais admis que les grands satellites de glaces des planètes géantes présentent des caractéristiques qui rendent la question de leur habitabilité tout à fait plausible. Suite aux études des missions spatiales envoyées autour des planètes géantes, il est apparu que la présence d’un océan liquide global sous les glaces de surface est fortement probable dans les cas d’Europe, Ganymède, et Callisto autour de Jupiter, et aussi dans le cas de Titan autour de Saturne (figure 3).

Les connaissances actuelles laissent penser que dans le cas d’Europe, toutes les conditions sont réunies pour que cet océan liquide soit de fait un environnement habitable. Celui-ci est certes un environnement profond, piégé sous plusieurs kilomètres voire dizaines de kilomètres de glace, mais il n’en demeure pas moins un habitat potentiel dès lors que l’on accepte le fait que les zones habitables ne se limitent pas aux environnements de surface. En effet, les conditions existant en profondeur sont similaires à celles rencontrées dans les fonds océaniques terrestres où des organismes vivants se développent en absence de toute lumière et sous haute pression (1000 fois la pression atmosphérique). Sur Europe, l’océan est beaucoup plus profond (environ 100 kilomètres à comparer aux 2-4 kilomètres de profondeur moyenne des dorsales océanique), mais la gravité moindre fait que les pressions rencontrées au fond des océans sont très comparables. Sur Terre, la chimie complexe est garantie de par les échanges hydrothermaux entre les silicates et l’eau profonde, de même que l’énergie. De telles conditions sont parfaitement possibles sur Europe. Le chauffage de marée associé à la résonnance gravitationnelle entre Jupiter et les trois lunes Io, Europe et Ganymède, favorise très clairement la présence d’une activité thermale au sein de la couche de silicates, qui remplacerait ici l’activité hydrothermale des dorsales médio-océaniques au fond des océans terrestres.  De ce fait, l’océan d’Europe est considéré comme un environnement habitable. Au cours des deux survols effectués sur des zones récemment actives de la surface de la lune, JUICE apportera des informations sur les caractéristiques de cet océan.

Ganymède, Callisto et Titan, qui sont des lunes beaucoup plus grandes, sont structurées différemment.  Le cas de Ganymède peut être pris à titre d’exemple. Ganymède est la plus grosse lune du système solaire (2631 km de rayon). Elle est plus grosse que Mercure. Il est admis que sa structure se caractérise par une forte différenciation avec un noyau profond riche en Fer (générant un champ magnétique propre et dipolaire), un manteau silicaté, et une très épaisse hydrosphère (au moins 500 km) dont une partie doit être sous forme liquide. Cet océan doit être piégé entre deux couches de glace du fait que la pression n’autorise pas l’existence de l’eau liquide à toutes les profondeurs. Ainsi, il existe des glaces de haute pression (qui ne sont pas présentes naturellement sur Terre) plus denses que l’eau (Bridgmann, 1924 : 126) et qui doivent constituer l’essentiel de l’hydrosphère.  Ganymède est à juste titre considéré comme l’archétype des exoplanètes riches en eau. Son hydrosphère, avec son océan flottant entre deux glaces, est sans nul doute très commun dès que les planètes sont massives et riches en eau. Du fait des hautes pressions rencontrées dans l’hydrosphère, la couche liquide est séparée des silicates par une très épaisse couche de glaces de hautes pressions qui n’existent pas sur Terre. En conséquence, il n’est pas certain que chimie complexe et source d’énergie stable soient disponibles pour garantir l’habitabilité des réservoirs liquides en profondeur. JUICE, de par son étude exhaustive de Ganymède, fournira peut-être des informations sur la dynamique interne de cette lune et donc sur son habitabilité potentielle. Ce dernier point est discuté en détail dans le chapitre suivant.

III. Exploration de la zone habitable: Ganymède, Europe, et Callisto

III.1. L’exploration de Ganymède

Ganymède se caractérise par un mélange de terrains clairs et sombres, la présence d’anciens cratères d’impacts, et de paysages façonnés par les processus tectoniques, éventuellement volcaniques, et aussi par l’érosion (Figure 4). Les données Galiléo nous ont permis de comprendre la géologie globale de la lune, mais il n’a pas été possible de comprendre les processus à l’échelle locale et régionale du fait du trop faible nombre d’observation à haute résolution spatiale. Ainsi, c’est moins d’1% de la surface qui a été observé avec une résolution meilleure que 100 m/pxl. C’est pourquoi un des objectifs majeurs de JUICE va être de fournir une cartographie globale de la lune avec une résolution de 400 m/pxl, et de fournir si nécessaire des images allant jusqu’à 5 m/pxl pour les régions à très fort intérêt scientifique. Ces objectifs permettront d’une part de réaliser une étude plus approfondie des nombreux processus qui ont façonné cette lune. Les images à très haute résolution pourront aussi être exploitées à l’avenir pour choisir les sites envisageables pour une exploration in situ.

Figure4

Figure 4. La surface de Ganymède est caractérisée par une alternance de plaines sombre et vieilles très fortement cratérisées (environ 1/3 de la surface) et des terrains plus jeunes et plus clairs. Ceux-ci se sont formés au détriment des terrains sombre via des processus tectoniques d’extension (en haut à droite; région d’Arbela Sulcus (AS) 28GSARBELA02, 130 m/px vue par la camera ISS/Galiléo ; image du bas: région C9GSSULCUS, 900 m/px vue par la camera ISS/Galiléo).

La composition globale de la surface de Ganymède est encore mal connue. Il est établi que de nombreux constituants autres que la glace d’eau omniprésente sont à la surface mais leur nature reste peu claire. Ils sont essentiellement présents dans les plaines sombres et vieilles, mais moins abondants dans les zones claires plus riches en eau.  Leur composition varie de matériaux fortement hydratés vers les hautes latitudes à des matériaux peu hydratés dans les autres zones. Il est possible que la plupart de ces constituants, en particulier dans les régions sombres, soient en fait des sels. La caractérisation de ces constituants se fait par imagerie hyperspectrale depuis l’espace. En théorie, chaque minéral réfléchit la lumière solaire de façon unique. Il est donc possible de par la mesure de l’intensité lumineuse réfléchie à chaque longueur d’onde d’identifier le spectre, et donc la composition des minéraux.  Cette technique, courante sur Terre,  a été employée sur Ganymède via l’analyse des rayonnements réfléchis par la surface dans les domaines visible et infrarouge. Malheureusement, la sonde Galileo n’a pas pu réaliser une analyse détaillée car l’imageur hyperspectral embarqué avait d’une part une modeste résolution spectrale (capacité à mesurer l’intensité lumineuse sur des domaines de longueur d’onde d’autant plus étroit que la résolution est bonne, i.e. à faire des spectres précis), et d’autre part parce que la résolution était trop faible (chaque image faisait plusieurs km/pxl ce qui impliquait que la lumière réfléchie était une moyenne de plusieurs constituants). C’est pourquoi JUICE va réaliser une étude de la surface à très hautes résolutions spectrale et spatiale afin de caractériser les constituants non glacés. Cette cartographie de la surface sera complétée par une analyse in situ des particules présentes dans l’atmosphère ténue de Ganymède. Ceci permettra de savoir quelle part de la composition de la surface est due aux contributions externes (sources exogènes).

L’étude de l’océan profond est une priorité de la mission. Bien qu’il ne soit pas possible de l’atteindre directement car il est trop profond, il est envisagé de déterminer ses principales caractéristiques depuis l’orbite. Les principes de la méthode sont illustrés dans la figure 6. D’une part, la mission Galileo a détecté un champ magnétique induit à Ganymède, c’est à dire un champ qui est produit par l’interaction de la magnétosphère jovienne avec un courant conducteur à l’intérieur de la lune. Dans leur article, Kivelson et al. (2004, 507) démontrent que les caractéristiques du champ magnétique induit ne peuvent s’expliquer que si le courant conducteur est généré par l’océan liquide à faible profondeur. En fait, les caractéristiques du courant induit renseignent sur la nature du système conducteur et sur sa taille. Alors que Galiléo avait juste pu déceler  la présence du champ induit, JUICE va le caractériser précisément. Ceci permettra de connaître l’épaisseur de l’océan profond de Ganymède. D’autre part, la surface du satellite est soumise à des déformations périodiques du fait des forces de marées opérant entre Jupiter et ses lunes (tout comme les océans terrestres avec la Lune). L’amplitude de ces déformations est inconnue pour l’instant mais sera mesurée par JUICE. Comme celle-ci est directement corrélée à la profondeur de l’océan (plus il est près de la surface, plus les amplitudes seront importantes), cette mesure fournira une contrainte précieuse sur la position de l’océan. Celle-ci sera complétée par une mesure précise et indépendante des oscillations de l’axe polaire au cours du temps, celles-ci dépendant aussi de la profondeur de la couche liquide. Ainsi, JUICE devrait nous fournir les premières données quantitatives sur l’un des habitats profonds du système solaire externe. Les méthodes décrites ici permettront aussi d’aller explorer la structure interne au niveau des couches de glace profondes, du manteau de silicates, et du noyau ferreux qui génère le champ magnétique dipolaire. Mais le niveau de détail auquel nous parviendrons n’est pas quantifiable avant que la mission n’arrive à destination.

Figure6

Figure 6: Vue schématique de la stratégie utilisée pour caractériser l’océan de Ganymède. L’espace des paramètres est limité par le fait que l’eau liquide n’existe que dans un certain domaine de pression. JUICE va fournir les contraintes supplémentaires requises pour caractériser l’océan en terme de profondeur et de taille (voir texte).  La zone en noir, qui correspond à l’intersection de toutes les contraintes, est positionnée arbitrairement dans la figure.

Ganymède possède donc un champ magnétique dipolaire généré par son noyau de Fer. C’est donc une lune véritablement exceptionnelle puisqu’elle est soumise à l’action de trois champs magnétiques qui interagissent entre eux (le champ magnétique propre de Jupiter, les champs magnétiques propre et induit de la lune). La caractérisation précise de ces trois champs sera difficile puisque JUICE ne mesurera que le champ global résultant de ces interactions multiples. Mais la tâche est possible et demeure un objectif prioritaire de la mission. Celui-ci permettra d’une part de considérablement accroitre nos connaissances de la dynamique des magnétosphères dans des contextes aussi complexes, et permettra de mieux comprendre les processus d’échanges entre l’environnement jovien et la surface de la lune. Afin de réaliser ces objectifs, la mission JUICE devra en plus de l’étude continue du champ magnétique, étudier les flux de particules neutres et chargées qui constituent l’atmosphère très ténue de la lune (appelée exosphère), et analyser les processus auroraux très courants du fait des interactions entre la lune et Jupiter via les lignes de champ magnétique.

III.2. L’exploration d’Europe

Europe est sans nul doute la lune la plus connue du système de Jupiter. Comme il a été vu dans la section 2, cela est dû à son fantastique potentiel en terme d’habitabilité. Pour autant, cette lune ne sera pas étudiée par JUICE avec le niveau de détail choisi pour Ganymède. Seuls deux survols rapprochés de la lune sont programmés, afin de répondre aux questions essentielles posées par les observations de la sonde Galiléo. Les deux principales raisons à ce choix sont d’une part que le potentiel scientifique de Ganymède en tant qu’objet planétaire a été considéré plus vaste et plus ambitieux que pour Europa, et donc plus adéquat à une mission Large du programme Cosmic Vision de l’ESA, et d’autre part que l’accessibilité d’Europe avec un orbiteur est extrêmement difficile et risquée,  du fait du très fort taux de radiations reçues dans la zone où orbite la lune. Les deux survols d’Europa ont donc des objectifs scientifiques ciblés.

La surface d’Europe se caractérise par un très faible de taux de cratérisation (seulement 16 cratères avec des diamètres supérieurs à 3 km ont été identifiés) indiquant une surface très jeune. Celle-ci est constituée essentiellement de plaines brillantes très riches en glace d’eau entrecoupées de très longues rides sans aucune orientation préférentielle, et de terrains plus sombres dont une partie significative de la couleur est d’origine exogène (figure 5). Tout d’abord, il s’agira de déterminer la nature des constituants non glacés de la surface. Les composés hydratés sont présents dans toutes les zones plus sombres et rougeâtres, ainsi qu’au niveau des nombreuses rides. Comme indiqué par Dalton (2007 :L21205), les meilleurs candidats possibles sont des hydrates d’acide sulfurique, et des hydrates de sels (sulfates de magnésium, sulfates de sodium,…). De plus, du dioxyde de carbone pourrait avoir été détecté. Il semblerait que les hydrates de sels sont plus abondants dans les structures volcaniques les plus jeunes, tandis que les sulfates d’acide sulfurique seraient plus abondants dans les zones plus anciennes. Il est possible alors que les sels proviennent de l’intérieur de la lune (océan), et que des processus exogènes transforment au cours du temps ces composés hydratés. L’idée est que le sodium présent serait expulsé dans l’exosphère et remplacé par des ions H+. C’est tout cela que JUICE va confirmer. En survolant de près plusieurs régions de la lune où l’activité récente a été démontrée, et à partir des observations à plus haute altitude, JUICE va déterminer précisément la composition des matériaux hydratés issus de la couche liquide sous-jacente, et préciser la possible contribution de l’altération exogène à la diversité des composés observés. L’analyse hyperspectrale des surfaces depuis l’ultraviolet jusqu’au proche infrarouge sera complétée par  l’obtention de la topographie détaillée et des images à très haute résolution des zones survolées, afin de replacer les résultats dans leur contexte géologique. De plus, tout comme pour Ganymède, l’exploration de la subsurface par onde radar sera réalisée lors des survols pour compléter l’analyse. Finalement, l’ensemble des instruments permettant d’analyser l’exosphère compléteront les observations et permettront de mieux caractériser la nature des flux de particules chargées conduisant à l’altération des composants de nature endogène. Ces particules neutres et chargées émanent du système de Jupiter, et essentiellement de Io.

Figure5

Figure 5. La surface d’Europe se caractérise par une alternance de terrains clairs et de terrains plus sombres (gauche). Les plaines brillantes sont entrecoupées de rides (RP) et sont recouvertes par endroits de terrains sombres (M). Ceux-ci, observés à haute résolution, sont des terrains chaotiques (image du milieu).

Au cours de ces deux survols, le radar de subsurface pourra aussi détecter la présence des réservoirs liquides dans la croûte s’ils existent. Ceux-ci sont en effet une explication possible de certaines structures géologiques très particulières appelées les chaos. Ils pourraient résulter d’un processus d’effondrement du fait de l’apparition d’un réservoir liquide sous-jacent. Mais surtout, la mission va permettre de lever une ambiguïté quant à la profondeur de l’océan global. Selon certains modèles, celui-ci ne doit être qu’à quelques kilomètres de profondeur tandis que d’autres suggèrent une profondeur plus importante de plusieurs dizaines de kilomètres. Dans le premier cas, il est envisageable d’imaginer des échanges fréquents entre la zone habitable et la surface. Dans le second cas, c’est hautement improbable. L’impact sur l’exploration future de cet environnement unique de notre système solaire est donc énorme.

III.3. L’étude de Callisto

Callisto est la lune qui présente la surface la plus vieille du système de Jupiter. En fait, il est admis que cette lune n’a connu aucune activité majeure depuis plus de quatre milliards d’années. Sa surface est donc essentiellement caractérisée par un aspect très sombre issu des nombreuses poussières qui s’y sont déposés, et par une très grande abondance de cratères d’impacts. On considère souvent que Callisto demeure le témoin des premiers âges du système jovien. La structure interne de la lune n’est pas encore totalement comprise. Il semblerait qu’elle n’est pas totalement différenciée, c’est à dire que son noyau serait constitué d’un mélange de silicates et de glaces. Ce noyau, quel qu’il soit, est recouvert par un océan liquide lui-même piégé sous une épaisse croûte de glace. L’océan a été détecté, tout comme pour les autres lunes,  du fait de la signature magnétique d’un champ magnétique induit lors des survols de la sonde Galiléo. Mais contrairement aux autres lunes, Callisto n’est pas considérée comme un environnement habitable. En effet, l’absence totale d’activité depuis 4 milliards d’années démontre qu’aucune énergie interne n’est disponible pour favoriser les échanges chimiques entre les minéraux et l’eau liquide. JUICE va donc essentiellement s’intéresser à cette lune de par son potentiel à nous renseigner sur les origines du système de Jupiter dans son ensemble.

Ainsi, plusieurs survols de Callisto sont planifiés dans le cadre de la mission et permettront, tout comme pour les autres lunes, d’obtenir une cartographie détaillée dans le domaine visible, des observations depuis l’ultraviolet jusqu’à l’infrarouge pour déterminer la nature des matériaux de surface, d’explorer la subsurface le long de la trace du survol, et aussi d’analyser les composés présents dans l’atmosphère ténue de la lune. Ainsi, JUICE devrait permettre de faire une science totalement nouvelle à Callisto. Cependant, les observations demeureront assez incomplètes malgré un nombre important de survols (au moins 8) parce que JUICE survolera toujours les mêmes zones. Ceci s’explique par le fait que Callisto va être utilisé pour changer l’inclinaison de l’orbite de JUICE et sortir ainsi de l’orbite équatoriale pour observer les régions inconnues de la magnétosphère, et aussi avoir des vues de Jupiter depuis les hautes latitudes. Il s’agit là d’un choix nécessaire afin de mieux remplir les autres objectifs de la mission, à savoir l’étude de la planète géante et de sa magnétosphère.

Conclusions

Le système de Jupiter a été présenté dans ce chapitre dans toute sa richesse et sa complexité. Un accent particulier a été mis sur l’intérêt récent qui est porté à ce système lointain du fait de la découverte des océans liquides dans les lunes géantes par les sondes Galiléo et Cassini. Mais comme il a été montré dans ce chapitre, ceci ne doit pas occulter le fait que le système Jovien est d’abord un objet planétaire qui présente un énorme intérêt scientifique dans des domaines extrêmement variés, depuis la science des atmosphères avec la planète géante elle-même, jusqu’à celle de la dynamique des magnétosphère, des plasmas et des ondes, en passant par la géophysique au sein des lunes, la chimie des glaces, et les disciplines transverses lorsqu’on s’intéresse aux problèmes des origines du système de Jupiter ou des processus de couplage entre les différents objets. Quant à l’habitabilité de ce système planétaire lointain, il faudra attendre les prochaines missions spatiales pour passer du domaine des hypothèses au domaine des affirmations. Des missions telles que JUICE, détaillée abondamment dans ce chapitre, ne pourront pas répondre à toutes les questions posées. En fonction des résultats qu’elle obtiendra et des nouveaux questionnements qu’elle génèrera, il faudra préparer l’étape suivante de l’exploration qui consiste à déposer des éléments de surface sur les lunes de glace. Ces projets extrêmement ambitieux nécessitent une collaboration internationale forte. JUICE sera sans nul doute un jalon important dans l’histoire de l’exploration du système solaire d’une part, mais aussi dans la démonstration de ce potentiel énorme qu’à le domaine spatial à générer des collaborations internationales de très grande envergure.

References

BRIDGMAN, P. W. (1914), Change of phase under pressure – The phase diagram of eleven substances with especial reference to the melting curve. Phys. Rev. 3, 126-203.

DALTON, J.B. (2007), Linear mixture modelling of Europa’s non-ice material based on cryogenic laboratory spectroscopy, Geophys. Res. Lett., 34 (21), L21205.

GRASSET O., M.K. DOUGHERTY, A. COUSTENIS, and 15 co-authors (2013), JUpiter ICy moons Explorer (JUICE): an ESA mission to orbit Ganymede and to characterise the Jupiter system, Planet. Space Sci., 78, 1-21.

KIVELSON, M.G., KHURANA, K.K., and VOLWERK, M. (2002). The permanent and inductive magnetic moments of Ganymede, Icarus, 157, 507-522.