Global Europe
Résumé
Nicolas Levrat prend un voyage historique à travers la création de l’Institut européen et sa relation avec le projet d’intégration de l’Union européenne, la Communauté économique d’abord, puis agrandi politique de l’Union. Les grandes lignes de l’Institut jusqu’à son intégration dans l’Université de Genève favoriser un ensemble d’activités à un projet intellectuel, politique et culturel plus large.
Mots-clé
Shaping Union Européenne, européennes, Institut Changements
« Rien ne se crée, rien ne se perd ; tout se transforme » nous apprenait Antoine Lavoisier au 18e siècle, illustrant d’ailleurs par cette maxime le principe qu’elle décrit, sa phrase n’étant qu’une reformulation des constats fait par Anaxagore plus de 20 siècles auparavant. Ainsi va l’histoire européenne, ainsi en est-il de l’Institut européen en cette année de son cinquantenaire. L’anniversaire marque en effet un moment charnière de son existence, puisque cette année 2013 est à la fois celle de la célébration et de la transformation.
Pour leur 51e rentrée académique, les études européennes à l’Université de Genève s’inscrivent dans le cadre plus large d’un Institut d’études globales, le Global studies Institute, lequel est une extension de l’Institut européen vers un programme de Bachelor en relations internationale (le BARI, qui n’est autre que l’ancienne licence HEI) et une ouverture des enseignements Master et de la recherche sur les enjeux de la globalisation. Cette métamorphose mérite quelques explications, qu’il est le lieu et l’heure de fournir.
Rappelons tout d’abord que ce changement d’appellation et de cadre institutionnel n’est pas le premier de l’histoire semi-séculaire de l’Institut européen. En effet, créé en 1963 par Denis de Rougemont, il porte originellement le nom « d’Institut des hautes études européennes ».
Après quatre années d’existence seulement il change de nature – il devient une fondation de droit public – et de nom, puisqu’il s’intitule dès 1967 « Institut universitaire d’études européennes », nom qu’il portera jusqu’en 1992. Après un quart de siècle sous cette appellation, l’Institut Universitaire d’études européennes renaît, sous la direction de l’ancien recteur Jean-Claude Favez, sous la forme d’un centre interfacultaire appelé « Institut européen de l’Université de Genève » . Il cessera de porter ce nom à la fin de l’année 2013, après vingt-et-une années sous cette appellation. Il devient ainsi cette année le Pôle Denis de Rougemont d’études européennes, intégré au Global studies Institute de l’Université de Genève, dont il constitue simultanément la colonne vertébrale. Ces changements, nominal, d’échelle et institutionnel, ont deux raisons fondamentales.
Premièrement, l’objet d’étude, l’Europe, a beaucoup évolué en un demi-siècle. L’Europe qu’on étudiait en 1963 était une Europe occidentale, centrée autour d’un Conseil de l’Europe (auquel la Suisse adhère d’ailleurs en cette année 1963) et une Communauté économique européenne instituée en 1958, à laquelle la Suisse n’a par ailleurs toujours pas adhéré. Le changement d’appellation de l’Institut en 1992 anticipe de peu le changement d’appellation de la Communauté économique européenne, puisque le Traité de Maastricht, ficelé fin 1991 mais entré en vigueur à la fin 1993 seulement, fait disparaître la « Communauté économique européenne », au profit d’une « Communauté européenne », nouvelle dénomination visant à marquer la transformation d’un projet d’intégration économique en un projet d’intégration politique. Entretemps aussi, une Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe avait initié, dès 1970, entre Genève et Helsinki (et avec la présence active des américains et des Russes (l’URSS à l’époque), une réunification de l’Europe, laquelle aboutira en 1989 à la réconciliation du continent, ainsi qu’au redimensionnement géographique et conceptuel du projet européen… ainsi d’ailleurs qu’au changement de nom de la Conférence sur la sécurité en Europe qui sera en 1993 rebaptisée Organisation sur la Coopération et la Sécurité en Europe.
En 2013, nous n’aurons pas fait preuve du même sens de synchronisation, puisque la Communauté européenne disparait du paysage européen en 2009 pour être remplacée par la seule Union européenne (ce que la plupart des spécialistes ont toujours peine à accepter… nombreux étant les collègues qui parlent encore de droit communautaire ou de méthode communautaire. Mais ce temps est révolu et les traités imposent de ne plus exister que sous forme d’Union européenne). Ainsi les changements d’appellation et de dimension ne sont pas l’apanage de notre Institut mais un tropisme européen. Notre objet d’étude suit la même dynamique que notre Institut, à moins, ce qui paraît plus probable, que ce soit nous qui nous adaptions à la dynamique de notre objet d’étude.
La seconde raison de cette transformation de 2013 est que les facteurs déterminants pour l’étude de l’intégration européenne ont fondamentalement changé depuis les années 1960. En effet, tout le monde l’a appris, le génie de la méthode inventée par Jean Monnet aura été de construire des solidarités de fait entre européens, pour éviter aux ressortissants des nations européennes de reproduire les boucheries qui ont été l’une de leur principale industrie de la première moitié du XXe siècle. « La citoyenneté européenne », proclamée dès 1993 – c’est-à-dire il y a presque 20 ans jour pour jour, son existence juridique remontant au 1er novembre 1993 – cette citoyenneté européenne devait incarner les solidarités interindividuelles dans cette Europe unie ; les détestables diatribes récemment entendues entre allemands et grecs montrent que le résultat n’est pas encore parfait, et quelques efforts seront encore, à n’en point douter, nécessaires.
Mais malgré les difficultés et les résistances, l’Europe s’est intégrée, pour aplanir ses facteurs de division internes, pour contenir et canaliser les dynamiques produites sur son sol et entre ses nations. Ce sont les rapports franco-allemands d’abord, l’intégration du Royaume-Uni, puis de l’Europe du Sud ensuite, dernièrement la réunification avec l’Europe de l’Est et, encore en cours, la pacification des Balkans, qui justifient la dynamique du projet européen et structurent son étude ; mais ce processus d’unification de l’Europe semble proche de son parachèvement (si l’on excepte, paraphrasant cette fois Goscinny et Uderzo, un petit « village helvète »).
Aujourd’hui, et à n’en pas douter demain plus encore, ce sont des facteurs nouveaux qui façonnent ou freinent la poursuite du projet européen ; ceux-ci sont et seront principalement des facteurs externes à l’Europe.
– Les « marchés financiers » d’abord, qui dictent leur loi d’airain aux politiques économiques des Etats européens et réforment à marche forcée les institutions de l’Union que la volonté politique défaillante avait laissées en plan ;
– le basculement géopolitique du monde ensuite, dans lequel la dominance de l’Occident est remise en cause par des acteurs émergents (les BRICS notamment), ce qui bien évidemment oblige à repenser le projet européen hors de son cadre atlantico-occidental initial;
– Ou encore les enjeux d’une transition écologique liés tant à la raréfaction de certaines ressources naturelles qu’aux dangers d’un dérèglement climatique.
Reste certes parmi les facteurs internes le défi d’une transition démographique, d’une Europe au sein de laquelle les citoyens choisissent de ne plus assurer le renouvellement générationnel de leur civilisation, par un déficit de naissance ! Peut-être devrions-nous d’ailleurs nous inquiéter de la cause de ce déficit démographique, qui n’est pas la mortalité élevée, mais bien un manque d’envie de se reproduire ! A moins que déficit démographique et politique migratoire ne sachent être combinés, ce qui alors pose d’autres questions en termes d’identité et/ou de valeurs européennes, selon les modalités de combinaison que les Européens sont prêts à envisager. Tous ces facteurs sont ainsi déterminants d’une étude de l’évolution de l’Europe de demain et imposent de changer la perspective académique. Dans ce contexte, l’étude de l’Europe ne peut plus se conduire en isolation ; elle nécessite un cadre analytique plus large. C’est la raison principale du choix de l’inscription des études européennes dans un nouvel Institut d’études globales.
En fait, les études globales sont le prolongement logique des études européennes, et non, comme certains pourraient le croire, celui de l’étude des relations internationales. Les études globales ne sont en effet pas centrées sur les seules évolutions de la société internationale et ses mécanismes et modalités, toujours plus sophistiqués, de relations entre Etats, ce qui constitue le domaine des études internationales ; les études globales étudient tout autant l’intrication complexe des enjeux internationaux avec les modes de vie individuels et collectifs, ce que font depuis longtemps les études européennes. En d’autres termes, il s’agit d’étudier la globalisation, c’est-à-dire « l’intégration », telle que l’ont initiée il y a plus de soixante ans les communautés européennes dans un cadre continental, mais aujourd’hui à une échelle planétaire. La globalisation implique ainsi à la fois un effacement des frontières entre ce qui relève de l’international et du national et l’émergence de nouvelles gouvernances, tant au niveau global qu’à l’échelle des pays, des villes et des régions. A l’image de la santé globale, du négoce international ou de l’environnement, les défis de la globalisation imposent aux sociétés de nouvelles articulations des savoirs. Le référentiel national n’est plus pertinent, et par effet miroir, l’étude isolée du domaine international ne fait plus de sens au XXIe siècle. Ce dépassement des cadres nationaux et cette intégration des individus dans une société que l’on a pu qualifier de supranationale ou de transnationale, seules les études européennes, à une échelle régionale, s’y étaient intéressées et en avaient offert des clés de lecture. Aussi est-il logique que les acquis méthodologiques et épistémologiques de l’étude de l’Europe rendent aptes l’Institut européen à s’adapter le premier aux enjeux académiques d’un monde global. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à faire ce constat, et la transformation d’Instituts d’études européennes en Instituts d’études globales est un phénomène qui n’est pas propre à Genève. Ainsi, pour ne prendre qu’un seul exemple parmi d’autres, le Professeur David Kennedy, qui avait fondé le European Law Research Center à la Harvard Law school en 1991, a transformé celui-ci en Institute for Global law and Policy, durant l’année académique 2009-2010 ; ce nouvel Institut bostonien poursuit les mêmes perspectives et recherches que le centre européen qui l’avait précédé. Notre démarche et les raisons qui la guident sont en tous points similaires.
En conséquence, nous célébrons en cette année 2013 tant les acquis de cinquante années d’études de l’intégration européenne que les potentialités des études globales fondées sur l’intelligence de l’intégration, entre le supranational et le national, voire le régional ou le local. Déclinaison qu’avait d’ailleurs étonnamment anticipée Denis de Rougemont, en s’intéressant, dès les années soixante, à la naissance d’une Europe des régions.
Aujourd’hui, situés à Genève, au cœur de l’Europe mais hors de l’Union européenne ;
Sur un territoire qui lui-même vit le dépassement de son cadre historique en s’inscrivant dans la perspective transfrontalière d’un grand Genève, lequel interroge et bouleverse nos référentiels ;
Enracinés dans un territoire que nous partageons avec nombre des institutions et des acteurs qui feront vraisemblablement émerger les modalités d’une gouvernance globale à laquelle aspire notre monde ;
Il est logique et nécessaire que notre programme d’enseignement et de recherches, s’inscrivant à la fois dans la volonté d’une utilisation des potentialités de l’ancrage genevois, dans la connaissance intime et approfondie du processus unique de l’intégration européenne et dans la dynamique d’une compétition académique mondiale qu’à également générée la globalisation, évolue vers cette étude de l’Europe dans le monde.
Ainsi, conjuguant célébration et transition, et suivant le précepte de Lavoisier, nous entamons en cet automne 2013 la cinquante-et-unième année d’études européennes et globales à l’Université de Genève, toujours guidés par les mêmes exigences d’excellence et d’ouverture aux enjeux d’un monde en transformation dans lequel Genève et son Université continuent de constituer un avant-poste d’observation privilégié.
Merci de votre attention.
Texte prononcé par le Prof. Nicolas Levrat, directeur du Global Studies Institute à l’occasion de la célébration des 50ans d’études européennes à l’Université de Genève.