L’Europe et la culture. Préface
A l’heure où l’Europe perd ses repères et doute d’elle-même, sur fond de crise économique et politique, avec le retour du populisme, du chômage et de l’intolérance, il est sage de se rappeler ce qui nous unit et fait notre force : les raisons qui sous-tendent le projet européen.
La mémoire se doit d’être attentive à l’histoire et aux enseignements des années 30 mais aussi, de remonter bien au-delà, aux racines même de l’Europe et à l’héritage humaniste qui en découle. Car l’Europe c’est aussi cela, un héritage culturel sur lequel repose le monde moderne, des valeurs mais aussi des langues, et un patrimoine matériel et immatériel commun.
C’est suivant une triple perspective, alliant histoire, politique et communication, que nous avons conçu ce dossier.
C’est tout d’abord à l’importance de la culture dans le projet européen à travers les siècles, que nous nous intéresserons avec « l’émergence de l’idée d’Europe à la Renaissance et celle d’une « poétique culturelle européenne » pendant l’entre-deux-guerres.
Dans la première partie, historique, Yves Hersant s’intéresse à l’idée d’Europe à la Renaissance. « C’est à partir du XVe siècle, quand le domaine terrestre ou mondain se sépare du domaine purement religieux, qu’émergent l’idée moderne d’Europe et la conscience d’une solidarité culturelle » nous explique l’auteur, avant de développer son argumentaire suivant quatre points. Tout d’abord, il revient sur le « désastre inouï » de 1453 et la défense des valeurs culturelles européennes, fondées sur la tradition classique. Puis l’apparition d’une unité culturelle, et non plus seulement religieuse, à laquelle a largement contribué l’Humanisme ainsi qu’un projet politique hors d’une clairvoyance et d’une modernité stupéfiante encore à ce jour. Enfin, les grandes découvertes ont achevé de donner à l’Europe conscience d’elle-même.
L’Europe littéraire, à la Renaissance, est donc cimentée par une communauté de modèles, dont la lecture est favorisée par l’essor prodigieux de l’imprimerie par la multiplication des traductions. Malgré les querelles idéologiques et religieuses, le seizième siècle prolonge et renouvelle la synthèse déjà à l’oeuvre au Moyen Âge. Dès lors, à travers l’espace commun de la littérature, l’Europe n’a cessé de penser, les fondements intellectuels sur lesquels elle s’est élaborée : la littérature invente un langage, un imaginaire. Par là même, elle (ré)invente sans cesse l’homme européen et de nouvelles visions du monde.
Au XVIIIe siècle le roman et plus spécifiquement le mouvement réaliste créent un nouveau langage littéraire, de nouveaux codes. Ce mouvement se répand dans toute l’Europe, au point de gagner la grande majorité de la production romanesque du dix-neuvième et du vingtième siècles.
Pascal Dethurens s’attache à la période de l’entre deux guerres et s’interroge sur l’émergence d’une « problématique européenne spécifique à la littérature à cette époque ». Pour cela il s’interroge sur les causes, inhérentes bien évidemment à la période plus que troublée. « L’Europe apparue pour l’écrivain comme une blessure, celle d’hier abolie et celle d’aujourd’hui secouée de spasmes homicides, la littérature dit une réalité chaotique, dernière ontologie du néant. » Dès lors ne peut-on pas expliquer cette effervescence de la production littéraire et comme une ultime tentative de sauver la création artistique de la crise et du « déclin de l’Occident » ? Certainement, mais l’auteur ne s’arrête pas là et prolonge la réflexion autour de quatre questions majeures, selon une analyse minutieuse, pour finalement livrer une définition d’une « herméneutique littéraire de l’Europe ».
Puis nous suivrons une approche plus contemporaine, dédiée aux grands défis politiques que soulèvent la culture aujourd’hui, sans même bien souvent que l’on s’en doute.
Michael Minkenberg revient sur l’impact de la religion et de l’Islam en particulier au sein de l’UE et du débat sur l’immigration, et analyse la relation entre patrimoine religieux de la société d’accueil et les politiques d’immigration et d’intégration. L’auteur s’interroge notamment sur les notions de continuité et de changement, de convergence et de divergence en la matière, à la lumière des théories inhérentes aux concept de diversité culturelle et de sécularisation. L’une des questions centrales autour de laquelle il axe sa réflexion vise à déterminer dans quelle mesure les politiques multiculturalistes, correspondent aux différences culturelles et religieuses au sein des démocraties occidentales.
Aude Jehan s’interroge sur l’impact social de la culture, et son rôle en tant que facteur d’intégration au sein de l’UE ou au contraire d’obstacle politique pour être trop souvent associée au phénomène d’identité. Elle souligne a contrario combien la culture pourrait s’avérer utile en terme d’image pour l’Union européenne sur la scène internationale et en tant que levier d’un nouveau « Smart Power » européen.
Selon la même ligne, à travers un exemple concret, l’article suivant nous fait découvrir un autre aspect du « Smart Power européen », intrinsèquement lié à la culture au sens large : l’Europe de la recherche et de l’innovation.
Sabine Herlitshka nous présente à travers les programmes-cadres de recherche et de développement technologique de l’Union européenne, devenus au cours des 25 dernières années le plus important réseau de coopération interculturelle au monde. L’auteur nous explique tout d’abord l’importance de ce nouveau facteur clé, fournissant un avantage concurrentiel certain, quel que soit le secteur, la discipline ou l’appartenance nationale. Puis, revenant sur l’évolution positive en la matière au cours des dernières décennies l’auteur souligne l’impact positif pour l’Union européenne. « L’Espace de recherche européen est la réponse d’une Europe visionnaire face aux défis mondiaux » estime l’auteur, avant d’analyser les défis que cela représente.
Enfin, nous nous attacherons à deux études de cas, soulignant bien le lien entre culture et communication, dans nos sociétés.
Monique Dagnaud s’interroge sur la culture dite de masse et le rôle de la télévision au sein de notre société, véritable « matrice de la culture » depuis son invention dans les années 50. Ancêtre d’internet, la télévision est un «rouage extrêmement puissant incorporé à la société ».
L’attrait qu’elle suscite a évolué et s’est complètement modifié mais persiste pourtant bel et bien, la maintenant en tant que « coeur battant du système médiatique ».
Xavier Melero Domingo s’intéresse à la bande dessinée comme nouveau genre journalistique. Ainsi le comique, d’expression artistique et forme de divertissement populaire, tendrait à s’imposer comme une nouvelle forme de communication, allant bien au-delà des limites conceptuelles de l’information journalistique. L’auteur retrace l’histoire de ce nouveau genre, mêlant des moyens d’expression issus de la bande dessinée, et le récit séquentiel avec les codes importés du journalisme.